
Peut-on encore être optimiste en 2025, alors que cette nouvelle année suscite les plus vives inquiétudes ?
Les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient un peu partout sur la planète, la guerre fait toujours rage en Ukraine, au Proche-Orient et ailleurs, l’extrême-droite progresse dans de nombreux pays, la nouvelle Administration Trump aux Etats-Unis ou bien l’IA sont également autant de sources de préoccupation.
On voit bien que l'on est en train de basculer dans un nouveau monde plus brutal dans lequel les rapports de force, de pouvoir et de richesse vont tendre à prédominer sur les logiques de droit et d’équité. Ce nouveau monde est caractérisé par un impact de plus en plus tangible du dérèglement climatique, une crise prononcée de la démocratie libérale dans les pays développés, des cartes qui sont rebattues dans le monde (Ukraine, Proche-Orient, Afrique, Chine-Taiwan, Corées...) et une technologie de plus en plus présente dans nos vies.
Dans un tel contexte on peut même se demander s’il est décent de se poser la question : peut-on encore être optimiste ?
Un regard à la fois lucide et "solutionniste"
Avant de répondre à cette question, il convient en premier lieu de définir ce qu’est l’optimisme. France Culture a diffusé le 3 janvier une émission qui avait justement pour titre 'Peut-on être encore optimiste ?" avec pour invités les philosophes Laurence Devillairs et Frédéric Lenoir. La première se définit comme résolument pessimiste, tandis que le second, lui, est plutôt de tempérament optimiste.
Pour Laurence Devillairs, le pessimisme comme l’optimisme sont de l’ordre de la croyance, et non pas un rapport objectif à la réalité. Ils considèrent par conséquent tous les deux que c’est la lucidité par rapport aux faits qui compte. Ainsi, pour Frédéric Lenoir, face à un même constat d’observation rationnelle des faits, le pessimiste philosophique peut dire "on est foutu", "il n’y a aucune solution possible", tandis que l’optimiste philosophique peut dire "il y a des solutions" et "va se battre pour les trouver".
En définitive, il ne faut pas nécessairement chercher à trancher de façon définitive entre optimisme et pessimisme. Un pessimisme outrancier, tout comme un optimisme béat ou aveugle paraissent être tout autant nuisibles l'un que l'autre. Ce qui paraît être primordial, c’est avant tout d’articuler réalisme et "solutionnisme" en ayant la vision la plus lucide possible de la réalité, tout en cherchant à élargir son regard aussi à ce qui marche, à ce qui s’améliore et à ce qui peut être source d’espoir.
On peut retrouver un tel état d’esprit dans les entretiens réalisés pour le podcast du Monde "Chaleur humaine" où des experts sont interrogés "pour comprendre les enjeux et trouver des solutions".
C’est par exemple le cas de l’économiste Esther Duflo. Elle explique ainsi que "Quand j’ai commencé à travailler sur la lutte contre la pauvreté, il y avait beaucoup plus de pauvres qu’aujourd’hui. Ça avait l’air d’un problème immense, insoluble, et la plupart des gens, devant les problèmes immenses, préfèrent ne pas y penser. Ce que j’ai essayé de faire dans mon travail, c’est de décliner ce problème immense en milliers de problèmes qui sont ni immenses ni insolubles – qu’on peut résoudre les uns après les autres. C’est la même chose pour le climat: on peut penser à chaque problème un par un et essayer de le résoudre".
Pour cela, il faut au préalable faire le pari qu’il peut y avoir une solution. Cela correspond donc à la posture de l’optimiste car, comme le dit le psychiatre Christophe André, "les optimistes voient les problèmes, mais ils recherchent les solutions et ils s’engagent dans l’action pour que ces solutions adviennent".
La géographe Magali Reghezza ne dit pas autre chose dans ce même podcast du Monde : "Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on a le choix de notre avenir. On s’est trouvés au lendemain de la seconde guerre mondiale avec un pays en ruines, et des générations décimées. Pourtant, on a réussi à construire un pays dans lequel il fait bon vivre, avec de belles choses, comme la Sécurité sociale par exemple. On a face à nous une révolution qui arrive. La seule question qui se pose c’est : est-ce qu’on la subit ou est-ce qu’on la choisit ?".
La nécessité d’avoir une vision optimiste
A rebours de l'atmosphère générale, l’hebdomadaire allemand Die Zeit a décidé dans son édition du 1er janvier 2025 de mettre l'accent sur l'optimisme en publiant notamment une tribune du journaliste allemand Harald Martenstein (version en français).
Il explique dans ce texte "comment [il] est devenu optimiste", alors qu’il "a toute sa vie été pessimiste". Pour lui, "Parmi les inconvénients du pessimisme, on peut citer la résignation et le fatalisme, la mauvaise humeur, la peur de l’avenir, le renoncement au plaisir – généralement délétère – et la peur du changement, autant d’attitudes qui présentent plus d’inconvénients que d’avantages". Il en conclut qu’il est nécessaire de choisir la voie de l’optimisme parce que "rien ne se fera tout seul et personne ne viendra nous sauver. Nous devons continuer à nous battre, à espérer et à rester optimistes. Sans optimisme, on ne peut rien améliorer".
Cela a été également la démarche de Guy Abonnenc dans un éditorial intitulé "Comme une envie de bonnes nouvelles" paru le 31 décembre 2024 dans Le Dauphiné libéré : "Crises politiques, économiques, environnementales, budgétaires, montée des tensions… N’en jetez plus ! Face à ce flot incessant de mauvaises nouvelles, de nombreux Français se détournent de l’information. Ils se réfugient dans leurs bulles d’intérêts ou de croyances, délaissant un espace médiatique saturé par des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux devenus suffocants. Au cœur de ce brouhaha émerge alors un besoin de positivité, d’histoires inspirantes, de clés pour mieux comprendre et agir. Une quête de belles vibrations, comme celles que nous avons partagées avec les Jeux olympiques, la réouverture de Notre-Dame ou encore des succès populaires tels que les films Un p’tit truc en plus ou En fanfare. Ces moments traduisent un désir d’émotions et d’espoir dans une France réconciliée".
Il ne faut pas oublier non plus qu’en dépit des mauvaises nouvelles qui s’accumulent sur nos écrans de télévision ou sur nos smartphones, différentes tendances de fond vont tout de même continuer à s’améliorer, la science et la médecine vont poursuivre leur avancée, des initiatives positives vont se multiplier chaque jour à bas bruit un peu partout sur la planète et l’aspiration à la paix, à la liberté, à la sécurité et au bonheur vont rester les aspirations les mieux partagées dans le monde, bien davantage que les aspirations à la haine, à la division et à la violence. En effet, comme le dit bien Max Roser, bien sûr que le monde est affreux, mais par beaucoup d’aspects, on peut considérer également qu’il va mieux et même estimer qu’il pourrait aller encore mieux.
Les bienfaits de l’optimisme
On sait bien également à quel point l’optimisme peut avoir des bienfaits sur le plan personnel, notamment sur sa santé mentale, voire physique. Cela a été notamment rappelé à l’occasion du "Blue Monday", ce jour censé être le plus déprimant de l'année, qui tombait le 20 janvier cette année, jour de l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche par ailleurs.
A cette occasion, le quotidien La Croix a demandé à trois spécialistes de livrer leurs techniques pour entretenir son optimisme entre le temps maussade et l’actualité anxiogène.
Pour Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d'addictologie à l'hôpital Bichat, en premier lieu, "il faut vérifier que le pessimisme que l'on ressent n'est pas un indice d'une maladie dépressive". Ensuite il juge qu’il faut "oser" devenir optimiste : "'Comment être optimiste alors que les glaciers fondent et que la Californie crame ?' C'est presque, selon [certains], un manque de conscience ou de morale. Je leur réponds: on a le droit d'être triste, mais on n'a pas le droit d'aimer sa tristesse".
Les trois spécialistes tendent à s'accorder sur les bases à consolider bien connues maintenant, à savoir un bon sommeil, une alimentation équilibrée et de l'exercice physique.
Philippe Gabilliet, professeur de psychologie à l'ESCP et cofondateur de la Ligue des optimistes, estime de son côté que "tout ce qui va nous redonner le moral, ce sont des actions. Il faut faire, agir, planifier des moments de plaisir, mettre en place des routines positives".
Enfin, Florence Servan-Schreiber, autrice et conférencière, conseille les "petits pas" pour changer d'état d'esprit car "C'est un vrai entraînement de cultiver la bonne humeur, ça se travaille".
En résumé, pour maintenir sa bonne humeur, il convient de bien dormir, de s'alimenter sainement, de pratiquer une activité physique, d’oser devenir optimiste (notamment parce que c'est bon pour la santé), d’agir, de mettre en place des routines positives et de s'y tenir.
La nécessaire lutte contre le pessimisme global
Enfin, il paraît crucial de lutter, autant que possible, contre le pessimisme sociétal ou global, à savoir l’idée selon laquelle la société ou le monde ne vont pas dans la bonne direction et qu’il est impossible de remettre en cause ce déclin jugé irréversible.
Cette lutte est primordiale car ce type de pessimisme ne fait que nourrir la poussée du populisme de droite, la chute de la natalité, les difficultés semble-t-il croissantes en termes de santé mentale… N’oublions pas, en effet, que la large victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle aux Etats-Unis en novembre dernier a été favorisée par le pessimisme souvent outrancier de ses électeurs sur l’état du pays, d’ailleurs en grande partie déconnecté de la réalité (Steven Pinker expliquait ainsi dans le New York Times juste avant l’élection que "Trump dit que le pays est ‘mourant’. Les données disent autre chose"). Une enquête Ipsos a bien montré à quel point ces électeurs étaient pessimistes… et se trompaient sur l’état du pays. Trump et ses partisans ont, en effet, largement exploité tous les canaux, les mécanismes, les réflexes et les biais qui incitent les individus à voir le monde plus sombre qu’il n’est en réalité pour des raisons à la fois tactiques et idéologiques – ils le croient eux-mêmes. Et cette victoire a favorisé le pessimisme outrancier de ses opposants les plus farouches sur la situation à venir de leur pays.
Pour cela, il faut prendre en premier lieu conscience du rôle joué par différents acteurs (comme par exemple les médias), biais, réflexes qui nous incitent à avoir une vision la plupart du temps négative de la réalité. Il convient en outre de réhabiliter les visions et les discours positifs en tenant compte de la faible crédibilité des principaux tenants de ces discours (gouvernements, grandes entreprises, institutions internationales ou européennes…) et du faible impact de tels messages, en particulier auprès des individus pessimistes, qui vont avoir souvent tendance à faire prévaloir leurs croyances et leurs ressentis sur les faits.
Il va néanmoins falloir attacher sa ceinture tout au long de cette année car, à coup sûr, les turbulences vont être nombreuses et importantes, mais aussi tout faire pour conserver la flamme de la positivité, de l’esprit critique, de la modération, de la nuance, de l'altruisme et de la bienveillance.
Bonne année 2025. Et restons tout de même optimiste !
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