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Les chroniques du positif : Les dernières leçons des rescapés des camps

  • Photo du rédacteur: eddyfougier
    eddyfougier
  • 1 mai
  • 6 min de lecture


L’année 2025 est l’année de commémoration du 80e anniversaire de la libération des camps de concentration. Cela a commencé avec le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau en janvier dernier, dans lequel au moins 1,1 million de personnes ont été tuées et qui est devenu le grand symbole du génocide perpétré par l'Allemagne nazie.  Ce sera le cas également au début du mois de mai du camp de Dachau, près de Munich en Allemagne, qui fut le premier camp de concentration ouvert par les nazis.


Cela paraît d’autant plus important qu’il n’y aura sans doute plus de survivants lors de la commémoration des 90 ans de la libération de ces camps. En outre, dans la période actuelle, il semble important d’avoir à l’esprit, ainsi que l’écrivait Elie Wiesel, survivant des camps d’Auschwitz et de Buchenwald et prix Nobel de la paix en 1986, que "Si on ne connaît pas son histoire, on s'expose à ce qu'elle recommence".


C’est également l’occasion de se demander ce qui a permis à certains prisonniers de ces camps de survivre et comment ils ont vécu leur vie d’après.


 

Trois facteurs qui ont joué un rôle-clef


Les témoignages et les études sur le sujet ont été bien évidemment innombrables. Outre l’âge des individus, leurs conditions de santé, leur "débrouillardise" et les circonstances, trois facteurs semblent avoir joué un rôle important,


En premier lieu, ce qui a permis à certains rescapés de tenir dans les conditions terribles dans lesquelles ils vivaient, c’est le fait de penser à l’être aimé et d’avoir la perspective de pouvoir la ou le revoir.


C’est ce qu’affirmait Viktor Frankl, célèbre psychiatre interné à Auschwitz, dans son livre Découvrir un sens à sa vie grâce à la logothérapie : "J’avais enfin découvert la vérité […] : l’amour est le plus grand bien auquel l’être humain peut aspirer. Je comprenais enfin le sens de ce grand secret de la poésie et de la pensée humaine : l’être humain trouve son salut à travers et dans l’amour. Je me rendais compte qu’un homme à qui il ne reste rien peut trouver le bonheur, même pour de brefs instants, dans la contemplation de sa bien-aimée. Lorsqu’un homme est extrêmement affligé, lorsqu’il ne peut plus agir de manière positive, lorsque son seul mérite consiste peut-être à endurer ses souffrances avec dignité, il peut éprouver des sentiments de plénitude en contemplant l’image de sa bien-aimée".



C’est également ce qu’exprimait Paul Sobol, dans son livre Je me souviens d’Auschwitz… De l’étoile de shérif à la croix de vie et dans un entretien : "Je tiens le coup grâce à la petite photo de Nelly pliée en huit, l’espoir de la revoir". Cette photo lui donne, en effet, la force de ne pas sombrer : "c’est grâce à elle que j’ai surmonté l’adversité et aussi parce que j’ai utilisé les valeurs que j’avais en moi, notamment un certain talent pour dessiner", "si j’ai survécu, c’est grâce à un ensemble de petits faits miraculeux qui, à des moments fatidiques m’ont permis de sortir vivant de l’enfer des camps, comme le fait de penser à Nelly, sa photo que j’ai pu garder tout au long de ma captivité". Après avoir survécu au camp, il a retrouvé Nelly avec laquelle il s’est marié et a fondé une famille.



Le second facteur a sans doute été le fait d’avoir un but. Paul Sobol l’expliquait ainsi dans son livre : "l’important dans la vie, c’est de savoir où l’on veut aller. C’est la motivation essentielle pour agir et pour être en accord avec soi-même. Cela tend les ressorts de la volonté et maintient l’enthousiasme dans l’effort. Cela, je l’ai appris grâce à Auschwitz".


Viktor Frankl indiquait lui aussi qu’"Il était indispensable, si l’on voulait aider un prisonnier à retrouver sa force intérieure, de lui suggérer un but quelconque. Les paroles de Nietzsche ‘Celui qui a un ‘pourquoi’ qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe qu’elle ‘comment’' pourraient servir de principe directeur pour toute assistance psycho-thérapeutique accordée à des prisonniers. Chaque fois que l’occasion se présentait, il fallait leur donner un pourquoi – un but – afin de les aider à supporter le terrible comment de leur existence. Malheur à celui qui ne trouvait plus aucun sens à sa vie, qui n’avait plus de but, plus de raison d’aller de l’avant. Il était condamné".


C’est aussi sans doute ce qui est arrivé à Franciszek "Franz" Kempa, un prisonnier juif du camp de Dachau. Un message écrit à l'intérieur du camp de Dachau est, en effet, resté secret pendant plus de 80 ans. Il a été retrouvé récemment en Hongrie dans un violon. Celui-ci révèle comment cet instrument de musique a été conçu : "Instrument d'essai, fabriqué dans des conditions difficiles, sans outils ni matériaux. Dachau. Année 1941, Franciszek Kempa". Franciszek Kempa avait caché ce message à l'intérieur d'un violon qu'il avait fabriqué à Dachau dans les terribles circonstances que l'on imagine. C’est la raison pour laquelle cet instrument construit à Dachau a été surnommé le "violon de l'espoir" par les collectionneurs d'art qui ont découvert le message "parce que si quelqu'un se retrouve dans une situation difficile, le fait d'avoir une tâche à accomplir ou un défi à relever l'aide à surmonter beaucoup de choses", "On ne se concentre pas sur le problème, mais sur la tâche elle-même, et je pense que c'est ce qui a aidé le fabricant de cet instrument à survivre au camp de concentration", ainsi que l’affirme Tamás Tálosi, l'un des collectionneurs d'art. Franciszek Kempa a d’ailleurs survécu à la guerre. Il est décédé en 1953.


Le troisième facteur est la solidarité entre les prisonniers. Viktor Frankl a bien montré dans son livre à quel point ceux-ci pouvaient se couper de toute forme d’émotion face aux horreurs qu’ils vivaient et qu’ils voyaient, mais aussi qu’il y avait de l’entraide entre eux, quelquefois au péril de leur vie.


L’un des plus beaux symboles de cette solidarité entre prisonniers, en l’occurrence entre prisonnières, est sans aucun doute l’histoire de Guy Poirot, l’un des trois bébés français qui ont survécu après être nés dans le camp de concentration de Ravensbrück en Allemagne. Ravensbrück était le plus grand camp de concentration pour femmes. On a commémoré le 80e anniversaire de sa libération fin avril. Guy Poirot naît dans ce camp en mars 1945. Sa mère Pierrette, alors âgée de 26 ans, a été arrêtée, puis déportée pour avoir hébergé des prisonniers en fuite et des maquisards, sans savoir qu’elle était enceinte au moment de son arrestation. Elle accouche protégée par les autres femmes du camp. Le bébé survit grâce à la solidarité des prisonnières ainsi que l’explique Guy Poirot lui-même : "celles qui travaillaient au textile ont essayé de reconstituer des petites choses pour qu’elle ait un peu plus chaud" et d’autres "mâchaient de l’herbe ou des espèces d’épluchures pour que les petits puissent l’avaler après, avec l’eau qu’il y avait". Fin avril, sa mère et lui seront récupérés par la Croix rouge suédoise. Elle ne lui parlera de ce qui s’est passé à Ravensbrück qu’à la fin de sa vie, à l’âge de 95 ans.


 

Les grands résilients


Enfin, les survivants des camps n’ont pas tous bien vécu la vie d’après, loin de là. En témoignent les résultats de l’enquête menée par Denis Monneuse, chercheur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).


Il a pu observer une "diversité des trajectoires et des niveaux de résilience" en distinguant quatre grands profils de rescapés des camps :

  • (1) le profil du refoulement de "ceux qui ont tenté de tourner immédiatement la page après leur libération"

  • (2) le profil de l’investissement identitaire de ceux qui "ont fortement et très tôt investi leur identité de survivant" en restant "proches de leurs camarades de déportation" et en prenant "des responsabilités dans les associations d’anciens déportés"

  • (3) le profil du ressassement, de ceux qui n’ont "toujours pas réussi à sortir des camps au sens où ils y repensaient constamment et où leurs séquelles psychiques […] étaient toujours présentes "

  • (4) le profil de la résilience, qui est définie par Boris Cyrulnik, grand spécialiste du sujet dont les parents et une grande partie de la famille a été déportée et tuée dans les camps de concentration pendant la guerre, comme "la reprise d’un bon développement, d’un nouveau développement, après une agonie psychique, traumatique".


Ces individus se sont montrés résilients "généralement grâce à leur entourage au retour et à la réalisation de leurs projets : changer de métier, fonder une famille unie, poursuivre un engagement social". Pour Denis Monneuse, "Certains voient leur déportation comme ‘une parenthèse’ entre une vie heureuse avant et après. D’autres qualifient leur expérience concentrationnaire d’’université’, car ils ont mûri en un temps record ; la déportation a forgé leur caractère". Il souligne à ce propos "l’importance de facteurs de résilience tels que le soutien social, la capacité d’adaptation et le fait de trouver un sens à sa vie", ce qui renvoie en grande partie aux trois facteurs que l’on a vu plus haut et qui ont joué un rôle majeur dans la survie des prisonniers dans les camps de concentration.


L'un des plus beaux témoignages de ce que peut être cette résilience d'un survivant des camps, en l'occurrence d'Auschwitz, est à coup sûr la conférence TEDx d'Eddie Jaku prononcée en 2019. Celui-ci, qui avait alors 99 ans, se présentait d'ailleurs comme "l'homme le plus heureux de la Terre".









 
 
 

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