Dans un contexte où les mauvaises nouvelles tendent à s’accumuler, si l’on vaut tenir le coup, il semble nécessaire d’adopter quelques gestes barrières par-delà les gestes barrières préconisés par les autorités sanitaires pour lutter contre la pandémie de Covid-19.
Le premier geste barrière est à coup sûr de ne pas trop s’exposer aux informations très souvent anxiogènes divulguées par les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux numériques.
Notre cerveau est, en effet, spontanément attiré par les informations négatives. Pour la psychologue clinicienne Jeanne Siaud-Facchin, « Notre cerveau, notre coeur, notre esprit perçoivent toujours en premier ce qui ne va pas [...]. Nous nous focalisons sur ce qui nous trouble, nous dérange, nous fait peur ». Parallèlement, les médias tendent souvent à avoir un biais catastrophiste et les réseaux sociaux sont en grande partie les chambres d’écho de toutes les indignations du monde et même fréquemment de toutes les visions conspirationnistes. Or, c’est maintenant bien connu, une trop grande exposition aux informations négatives a un impact néfaste pour notre santé mentale, mais aussi physique.
Le Dr Guillaume Fond, psychiatre et chercheur au CHU de Marseille, explique ainsi que « La catastrophe fascine ! Il y a un effet d'amplification de ces informations négatives qui, répétées au quotidien, finissent par donner le sentiment de vivre dans un monde en perdition. Et cette impression de vivre dans un monde moche, sans espoir, peut créer de la dépression et même favoriser des idées suicidaires chez une personne prédisposée. C’est le sentiment d’impuissance qui fait le plus de dégâts sur le plan psychique ». Cela implique notamment de consulter des informations plus positives. Il existe à ce propos un « journalisme de solution », des médias dits positifs et même une « information utile d’intérêt collectif ».
Le second geste barrière est d’établir, dans le contexte pandémique actuel, mais aussi d’inquiétudes croissantes vis-à-vis du changement climatique, une claire distinction entre catastrophisme ontologique et catastrophisme méthodologique pour reprendre les catégories définies par Catherine et Raphaël Larrère, auteurs du livre Le pire n’est pas certain. Essai sur l’aveuglement catastrophiste (Premier Parallèle, 2020). Le catastrophisme ontologique stipule que « le pire est inévitable », que l’effondrement ou la catastrophe sont inexorables, que la situation est irréversible. Or, « si la catastrophe est inévitable, pas la peine de lutter ! C’est un récit de l’impuissance qui mène à la conclusion qu’il n’y a pas d’alternative ».
En revanche, le catastrophisme méthodologique consiste à envisager l’ensemble des scénarios, y compris le pire, afin de tout faire pour l’éviter et de s’y préparer dans le cas où il finirait tout de même par se produire. C’est plutôt la voie de l’action qui est aussi recommandée par les neurosciences. Cela renvoie donc en grande partie au célèbre concept de « cygne noir » de Nassim Nicholas Taleb qui fait référence à des événements très peu probables, mais qui ont tout de même un impact majeur. C’est ce que montrent également les neurosciences. Ainsi, d’après Tali Sharot, chercheuse en psychologie et neurosciences, diverses expériences tendent à indiquer que « sur la question du changement climatique, le message doit être changé : au lieu de parler des catastrophes, ce qui pousse les gens à ne pas agir, nous devrions reformuler les choses pour parler davantage de ce qui peut être fait pour améliorer la situation, mettre en valeur les possibilités de progrès plutôt que celles de déclin ». Elle considère, en effet, que « la peur peut bloquer: elle n'encourage pas toujours à l'activisme. L'activisme peut être encouragé quand vous pensez que vous pouvez faire de grandes choses: j'agis parce que je pense que je peux changer le monde ».
De même, alors qu’il est de plus en plus question de solastalgie et d’éco-anxiété, pour le Dr Alice Desbiolles, auteure de L’Eco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé (Fayard, 2020), qui définit celle-ci dans un entretien accordé au Monde comme une « angoisse prospective, qui anticipe l’effondrement du monde et la disparition de la nature telle qu’on l’a connue », on peut être à la fois éco-anxieux et optimiste : « Ce n’est pas parce que l’on est en proie à certains questionnements que l’on doit s’empêcher de vivre. Je vois l’éco-anxiété comme une nouvelle forme d’humanisme, plus inclusive et moins anthropocentrée. C’est une invitation à repenser notre rapport à la nature, au monde, notre manière d’apprendre et d’enseigner ».
Le troisième geste est en conséquence la nécessité, quoi qu’il nous en coûte, de cultiver un esprit optimiste tant à titre individuel que collectif même si cela paraît être une véritable gageure pour les Français, du moins si l’on en croît les résultats de différentes enquêtes d’opinion, et pour certains d’entre eux qui légitimement broient du noir. Il ne s’agit pas pour autant de tomber dans les travers d’un optimisme béat (biais optimiste consistant à se dire que, quoi qu’il en soit, tout va bien se passer) ou une positivité qui peut s’avérer toxique (à partir du moment où se forcer à positiver peut conduire à ignorer nos émotions négatives et notamment notre stress). Pour le spécialiste de l’optimisme Philippe Gabilliet, l’optimisme est « une attitude qui conduit à aborder les choses dans un état d’esprit de confiance et de pro-action, à se dire "je suis confiant dans l’avenir et convaincu qu’en cas de problème, je trouverai des solutions" ». Cela correspond à ce que Eric-Jean Garcia appelle un « optimisme raisonné » qui s’appuie sur l’« obligation morale de croire à l’intelligence humaine et à l’avenir de l’humanité ».
Il s’agit donc de partir de la réalité et de considérer que, face à un problème, nous devons penser que nous pourrons trouver une solution. C’est bien évidemment cet état d’esprit qui a amené des chercheurs à estimer qu’il était possible de mettre au point un vaccin contre la Covid-19 alors même que, jusqu’à présent, personne n’y était parvenu pour lutter contre un coronavirus. C’est en définitive avoir foi en l’humanité.
Antoine Buéno explique à ce propos dans Futur. Notre avenir de A à Z (Flammarion, 2020) que les deux « discours prospectifs dominants » sont les discours positivistes et catastrophistes. Pour les positivistes, « la ressource ultime, à savoir l’ingéniosité humaine, trouvera toujours des solutions », ce que récusent les catastrophistes qui ne croient pas à un tel optimisme technologique. Mais il convient aussi sans doute d’opérer une distinction entre un positivisme extérieur et un positivisme intérieur. Le premier va miser sur la science et la technologie pour trouver des solutions à nos problèmes, sa version la plus radicale étant le transhumanisme. Le second, lui, va plutôt considérer que la solution est avant tout intérieure. Le philosophe Frédéric Lenoir expliquait ainsi dans ses vœux pour 2021 que « La solution n’est pas qu’extérieure. Elle est aussi intérieure ». Le psychothérapeute Thierry Janssen considère, lui, que c’est l’enfant en nous qui attend que l’autre trouve la solution pour nous « parce que cet enfant n’a pas pris conscience qu’il avait des ressources pour aller chercher en lui ce qui pouvait lui donner le vrai bonheur qui rime avec la vraie liberté ».
Ce texte est la version longue d’une tribune initialement parue sur le site Huffington Post en février 2021 et qui a été reprise en janvier 2022 sur le site internet de la Ligue des optimistes de France.
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