Une émission consacrée à l’optimisme a été diffusée le 1er janvier 2024 sur France Inter. Elle avait pour invités le consultant spécialiste du sujet Philippe Gabilliet, la journaliste et écrivain Florence Servan-Schreiber et le psychiatre et psychothérapeute Christophe André. Par-delà leur différence d’approche de cette thématique, ceux-ci semblent tout de même s’accorder sur divers principes de ce qui peut constituer une forme d’optimisme pragmatique.
Qu’est-ce que l’optimisme pragmatique ?
Etre un optimiste pragmatique, ce n’est en aucun cas être un optimiste béat déconnecté de la réalité ou succomber au biais optimiste qui nous amène à penser que, quoi qu’il en soit, on va s’en sortir et passer entre les gouttes. C’est la reconnaissance de la réalité et des difficultés de l’existence. C’est donc avant tout un état d’esprit et une méthode de gestion des problèmes que l’on peut rencontrer, qui consiste à privilégier la recherche de solutions et le passage à l’action, et, plus largement, à élargir son regard en cherchant à voir aussi ce qui va bien ou ce qui peut s’améliorer.
On peut également très bien être un optimiste pragmatique même si on n’a pas nécessairement de prédispositions à être optimiste, car on peut apprendre à l’être davantage, et même si cela n’est pas toujours valorisé dans certaines cultures, comme c’est le cas par exemple en France.
Enfin, être un optimiste pragmatique ne signifie pas voir ou a fortiori se forcer à voir tout le temps la vie en rose ou le verre à moitié plein, être systématiquement jovial et enthousiaste, ou bien se servir des différentes épreuves que l’on traverse pour chercher à grandir. C’est aussi se reconnaître le droit d’avoir des doutes ou des coups de blues de temps en temps, ou de prendre le temps d’encaisser différents chocs, de se reconstruire, avant de chercher à apprendre de ces épreuves.
Un état d’esprit tourné vers la recherche de solutions et le passage à l’action
(1) L’optimisme ce n’est pas ignorer les problèmes. C’est d’abord un état d’esprit orienté vers la recherche de solutions face à un problème et vers le passage à l’action : "l’optimisme c’est d’abord et avant tout un pari avec moi-même, avec le monde, avec les autres, qu’il y a des solutions que je n’ai peut-être pas encore trouvées, que les éléments positifs de la situation seront probablement plus déterminants que les éléments négatifs et surtout que si je n’agis pas, il ne se passera rien. La posture pessimiste est une posture intellectuelle très puissante, mais de solitaire. Dès l’instant où l’on a une vie, où l’on est entouré de gens et où les gens comptent sur nous pour les aider à espérer, à continuer à vivre, il n’y a pas d’alternative à l’optimisme sur la longue durée" (P. Gabilliet).
Pour F. Servan-Schreiber, l’optimiste, c’est "quelqu’un qui retourne au combat malgré les chutes et les échecs". C. André estime, quant à lui, que "Les optimistes voient les problèmes. Ce n’est pas l’aveuglement, l’optimisme. Ils voient les problèmes, mais ils recherchent les solutions et ils s’engagent dans l’action pour que ces solutions adviennent. L’optimiste cherche des solutions".
Elargir son regard
(2) L’optimisme consiste tout autant à élargir son regard pour voir aussi ce qui va bien : "ça n’est pas parce que tout est noir qu’il n’y a pas des choses formidables qui sont en train de se produire" (F. Servan-Schreiber).
P. Gabilliet considère plus largement qu’"Homo sapiens est une espèce qui est fondamentalement résiliente. On fonctionne en mode compost depuis 350 000 ans. On prend du déchet qu’on va appeler la guerre, les épidémies, la bêtise humaine, et on va continuer à en faire quelque chose. On est des recycleurs de malheur. Le mal étant dans ce monde, il y a deux solutions : soit je consens au mal, soit je refuse. Si je refuse, je vois difficilement comment à un moment donné je ne peux pas rencontrer l’optimisme".
En clair, l’humanité est capable du pire, comme du meilleur. On peut se concentrer sur le pire (et même en conclure que l’humain est fondamentalement mauvais et qu’il ne progressera jamais), mais on peut aussi décider de porter son regard sur le meilleur.
De la difficulté d’avoir une posture optimiste en France
(3) Il n’est néanmoins pas toujours facile d’être optimiste, en particulier dans notre pays car "En France, le marqueur de l’intelligence, ça reste le doute, le scepticisme, nous sommes des hommes et des femmes à qui on ne la fait pas" (P. Gabilliet). F. Servan-Schreiber remarque également qu’"il est très stylé chez nous d’être contre".
L’inégalité face à l’optimisme
(4) En outre, nous ne sommes pas vraiment à égalité face à l’optimisme. C. André rappelle qu’il y a des prédispositions chez chacun d’entre nous à être plutôt optimiste ou bien plutôt pessimiste. F. Servan-Schreiber reconnaît ainsi être personnellement "câblée pessimiste".
On peut apprendre à être plus optimiste
(5) Malgré tout, il est possible d’apprendre à devenir plus optimiste. D'après C. André, "on peut apprendre, on peut faire évoluer sa vision du monde. On peut s’entraîner, réorienter régulièrement son regard, on peut tirer les leçons de ses erreurs".
F. Servan-Schreiber suggère à ce propos le petit exercice suivant : "Quand quelque chose se présente et je me dis, c’est la fin des haricots, je me dis OK, admettons ! Est-ce que dans une semaine ça compte encore ! Oui, est-ce que dans un mois, ça compte encore ! Est-ce que dans un an, ça compte encore ! Et là, je me rends compte que pas du tout. C’est le principe de confronter ce que nous vivons à la réalité. On grossit le trait sur ce qui est difficile et on se dit qu’on est submergé. En fait, non".
De même, C. André recommande aux gens de "faire la liste de toutes les fois où ils se sont inquiétés et des conséquences que cela a eu : 9 fois sur 10, on s’est inquiété pour rien ou pour pas grand-chose et les choses se sont arrangées d’elles-mêmes. On est des très mauvais voyants, on se trompe très souvent en prédisant le pire". Pour lui, il est aussi important de "se trouver des maîtres d’optimisme, des gens dont on voit bien qu’ils fonctionnent mieux que nous : face à un problème, ils cherchent les solutions ou ils attendent que le problème passe".
Se déculpabiliser
(6) Il paraît important également de se déculpabiliser par rapport à une posture optimiste, de ne pas chercher à être tout le temps optimiste ou de ne pas se culpabiliser si on ne l’est pas systématiquement : "je trouve très malsain l’injonction à l’optimisme. Si l’on est trop optimiste face à des gens qui vivent des choses trop dures, on est des rabat-colères, un rabat-tristesse et un rabat-peur et c’est tout aussi malsain qu’être un rabat-joie" (P. Gabilliet).
Il est en de même d’une forme d’injonction à voir ce que l’on peut apprendre dans une épreuve que l’on traverse, en quoi celle-ci peut nous faire grandir. C. André rappelle justement à ce propos que "c’est compliqué quand on se prend des grosses claques existentielles de les inscrire tout de suite dans une logique pour se dire qu’est-ce que je peux en tirer, comment je peux grandir… La première séquence, c’est d’encaisser l’adversité qui nous tombe dessus, des problèmes de santé, des ruptures de lien, des difficultés professionnelles, ou des choses pires encore. La première chose, c’est de ne pas sombrer, dans la dépression, l’amertume, la colère. C’est de survivre, de nous rapprocher des gens qui vont nous faire du bien. Puis peu à peu, on se remet en marche avant, à fonctionner au quotidien. Là pourra réemerger ce désir de progresser, d’avancer, de se nourrir de ses succès comme de ses échecs, mais pas trop vite. C’est trop difficile de se mettre au travail sur ce genre de chantier immédiatement quand la blessure émotionnelle est toujours là, quand on n’a pas été consolé, réconforté".
Eviter de tomber dans un biais optimiste
(7) Il faut se méfier d’un certain optimisme, qui correspond en réalité au biais optimiste : "l’optimisme ce n’est pas une assurance tout risque pour la vie, pour l’immortalité, la santé, le succès, la popularité. […] L’optimisme doit s’accompagner de lucidité, d’humilité, d’échanges avec les autres pour prendre leur avis…" (C. André). Ainsi que l’affirme F. Servan-Schreiber, "être optimiste ne veut pas dire ne pas faire d’effort. C’est juste choisir les efforts que l’on fait".
Le devoir d’essayer
(8) Au final, voici ce qu'il est important de faire aux yeux de P. Gabilliet : "Dans un monde où l’on ne maîtrise rien, voir où il nous reste quelques petites marges de manœuvre et l’expliquer aux autres. Accepter l’imperfection. Arrêter de vouloir que tout soit parfait tout de suite. La vraie vie, c’est que des solutions imparfaites, temporaires, et c’est comme ça que le monde va avancer. Pas le droit à l’erreur, mais le devoir d’essayer".
Pour en savoir plus :
Philippe Gabilliet, Eloge de l’optimisme. Quand les enthousiastes font bouger le monde, J’ai lu, 2018
Florence Servan-Schreiber, 3 kifs par jour, Editions Marabout, 2014, édition augmentée 2023
Martin E. P. Seligman, Apprendre l’optimisme. Le pouvoir de la confiance en soi et en la vie, J’ai lu, 2023
Bruno Marion, On ne va pas forcément tous finir avec une hache au fond de la forêt. Tout s’effondre : un manuel pour s’en sortir, Eyrolles, 2023
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