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Les chroniques du positif : Les dix raisons pour lesquelles les messages positifs ont beaucoup de difficultés à se faire entendre


Contrairement à ce que l’on pourrait croire spontanément, les discours positifs tendent souvent à générer, au mieux, une certaine indifférence et, au pire, à se heurter à des réticences et même quelquefois à une forme d’hostilité. On cite ainsi souvent cette expérience réalisée en décembre 2014 par un journal local de la ville de Rostov-sur-le-Don en Russie, qui a décidé de seulement publier des informations positives pendant un jour. Or, celui-ci a perdu deux-tiers de ses lecteurs ce jour-là sur son site web. Il en est de même sur les réseaux sociaux numériques : un message "négatif" générera beaucoup plus de réactions et de partage qu’un message "positif". L’auteur de ces lignes le voit bien, par exemple, avec les posts positifs quotidiens de L’Observatoire du Positif sur X.


Et pourtant, les études scientifiques montrent à quel point le positif et l’optimisme sont bons pour notre santé mentale et même pour notre santé physique.


Alors, que faire ? Il convient, au préalable, de prendre conscience de l’existence de différents obstacles tant externes qu’internes, qui nous incitent plutôt à voir le verre d’abord à moitié vide. On peut en identifier dix.


 

(1) Les médias et leur obsession des trains qui n’arrivent pas à l’heure


Les médias traditionnels nourrissent à l’évidence la morosité et le pessimisme ambiants. Il faut bien admettre que l’actualité couverte par les organes de presse écrite et les médias audiovisuels n’est pas le reflet fidèle de la réalité car ceux-ci tendent d’abord à couvrir des faits dès lors qu’il y a eu une rupture de la normalité. Cela signifie que l’on ne peut pas se contenter d’utiliser les médias si l’on veut essayer de comprendre le monde.


La presse et les médias ont, en effet, un biais de négativité, qui est maintenant bien connu et bien documenté. Ce sont les fameux trains qui n’arrivent pas à l’heure. Il est aussi évident que la montée en puissance des chaînes d’information en continu et des chaînes d’opinion de type Fox News contribuent à renforcer cette orientation, tout comme la mondialisation de l’information car, à n’importe quel moment, il y a un drame qui se produit quelque part.


Johan Norberg en conclut dans Non, ce n’était pas mieux avant. 10 bonnes raisons d’avoir confiance en l’avenir que "l’effet combiné des reportages fonctionne comme un filtre déformant qui fait paraître le monde bien pire et bien plus dangereux qu’il n’est". Ceci fait largement écho aux travaux pionniers du spécialiste de la communication George Gerbner (1919-2005), qui est notamment le créateur de la théorie de la culture (Cultivation Theory) et du syndrome du "grand méchant monde" (Mean World Syndrome). La théorie de la culture stipule que plus les individus passent de temps devant la télévision, plus ils vont être enclins à croire que le monde réel ressemble à ce qu’ils voient sur l’écran. Cela vaut en particulier pour l’exposition continue du public à des contenus télévisés de nature violente qui amène celui-ci à voir le monde comme un endroit plus dangereux qu’il n’est en réalité. Le Mean World Syndrome a été mis en évidence par George Gerbner et Larry Gross en 1976. L’expérience qu’ils ont menée a montré que les téléspectateurs les plus assidus surestimaient très largement la dangerosité du monde réel sur la base de l’image que la télévision leur en donnait. Ce résultat a été confirmé ensuite par d’autres expériences du même type.

 


(2) Les réseaux sociaux numériques et l’emprise des algorithmes


Il est évident que les réseaux sociaux numériques sont aussi un facteur favorable à la diffusion de visions moroses et pessimistes.


Les algorithmes visent à inciter les utilisateurs à rester connectés le plus longtemps possible sur ces réseaux sociaux. Ils le font en leur proposant des sujets censés correspondre à leurs sphères d’intérêt suite à l’observation des contenus qu’ils consultent. Mais, cela a pour conséquence de favoriser des "bulles de filtre" dans lesquelles les internautes peuvent se retrouver enfermés en ne consultant qu’un certain type de contenus et/ou de point de vue, alimentant par là même une radicalisation des opinions et une forme d’agressivité. Malgré tout, les algorithmes de certains réseaux sociaux vont plus loin en cherchant à privilégier l’engagement des utilisateurs, ainsi que la "viralité". Dans un tel cas de figure, plus les messages et plus les débats génèrent de réactions émotionnelles, plus ils seront mis en avant par les algorithmes. Or, on le sait, les contenus qui sont les plus susceptibles de déclencher de nombreuses réactions sont souvent des contenus outranciers, polémiques et clivants. Cela peut aller même jusqu’à la diffusion de fake news.


En 2021, une enquête du Wall Street Journal a ainsi montré que l’algorithme de TikTok, censé proposer des contenus vidéo liés aux goûts et aux centres d’intérêt de ses utilisateurs, recommande des vidéos qui "perdent progressivement en variété et finissent par nous enfermer progressivement dans une niche de contenus" et "l’application trouve parfois un intérêt à appuyer là où ça fait mal chez les utilisateurs, pour qu’ils continuent à regarder" (source), y compris en exploitant leurs peurs, leurs vulnérabilités ou leur inclination à croire à des théories complotistes.


 

(3) L’influence pernicieuse de différents "conspirateurs du malheur"


Il convient également de tenir compte du rôle et de l’influence d’un certain nombre d’acteurs qui s’expriment dans l’espace public et qui, pour des raisons de nature idéologique, politique ou stratégique, tendent à mettre systématiquement l’accent sur ce qui ne va pas, sur ce qui se dégrade et sur la catastrophe qui nous attend en se concentrant généralement sur le pire des scénarios et/ou sur le scénario "si l’on ne fait rien". Ce sont, par exemple, des syndicats (de salariés ou d’employeurs), des partis politiques, des ONG, des associations, des think tank, des groupes de pression, voire des agences gouvernementales.


On doit noter à ce propos la visibilité et l’influence semble-t-il grandissante de deux grands types de courants catastrophistes, qui tendent donc à considérer que la catastrophe est inévitable, contribuent tout autant à la morosité ambiante.


Le premier est le courant que l’on peut qualifier de "décadentiste". Il met principalement l’accent sur le triptyque violence-immigration-islam, et sur le risque de "grand remplacement" et/ou de guerre civile. Il est notamment incarné en France par quelqu’un comme Éric Zemmour ou ailleurs par ceux que Giuliano da Empoli a appelé les "ingénieurs du chaos", qui cherchent à exploiter et à fédérer des colères et des peurs au sein des populations afin de les transformer en des mouvements d’opinion. Pour cela, ils s’efforcent de nourrir et d’amplifier la "rage populaire" en jetant systématiquement de l’huile sur le feu et de diriger celle-ci contre les « élites libérales » en rassemblant toutes les "victimes" du "Système".


Le second est un courant dit "effondriste". Il se concentre principalement sur la menace climatique et donc sur le risque d’"effondrement". Il est incarné en France par le courant de la collapsologie défini comme "l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle et ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus" (source), un auteur tel que Pablo Servigne, mais aussi par toutes celles et ceux qui se réfèrent de près ou de loin à la "pédagogie des catastrophes" pour alerter opinion et décideurs et éveiller les consciences.

 


(4) La faible crédibilité des "positivistes" et la mauvaise image des optimistes


Parallèlement, le pessimisme ambiant se nourrit sans aucun doute d’une faible crédibilité, du moins aux yeux d’une partie du public, des messages et des messagers optimistes et positifs.


Qu’on le veuille ou non, les discours positifs sont souvent assimilés à une vision de "puissants" et, en définitive, à une justification du "Système" et de l’ordre établi. En outre, les acteurs ayant un discours public positif et optimiste sont aussi des "puissants" qui font généralement l’objet a minima d’une certaine méfiance de la part d’une partie notable du public, à savoir les gouvernements, les institutions internationales et européennes, ou encore les grandes entreprises ou les grandes marques.


Facteur aggravant depuis quelques années aux yeux de certains, le discours optimiste est de plus en plus assimilé à ce qui est appelé l’"optimisme technologique", ou le "techno-solutionnisme", et fait à ce titre l’objet de vives critiques. C’est l’idée selon laquelle le progrès technologique permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de nous adapter aux effets du dérèglement climatique sur fond de confiance en l’ingéniosité humaine et en sa capacité à surmonter cet immense défi par l’innovation scientifique et technologique, Pour beaucoup de scientifiques et de militants, cet optimisme technologique fait même partie des justifications de l’inaction climatique (source).


Plus généralement, l’optimiste est souvent vu comme quelqu’un de plutôt naïf, de crédule, hors sol (il est accusé de nier la dure réalité), inconscient des risques (on l’accuse alors d’être la victime d’un "biais optimiste" consistant à penser qu’il est moins susceptible d’être exposé à des événements négatifs que les autres) ou qui a un cœur de pierre (il est jugé insensible à la misère et aux malheurs du monde). En définitive, l’optimisme n’est pas nécessairement assimilé à l’intelligence. Ce qui n’est pas le cas du pessimiste, qui est souvent perçu comme quelqu’un de lucide, de réaliste (il voit le monde tel qu’il est vraiment) et donc comme quelqu’un d’intelligent.


 

(5) Le cerveau humain et son "biais de négativité"


Le cerveau humain a un "biais de négativité", qui est même, d’après le psychologue social américain Roy Baumeister, "l’un des principes psychologiques les plus fondamentaux qui semble être vrai partout". Celui-ci rend les individus plus sensibles aux mauvaises nouvelles qu’ils vont mieux retenir parce qu’elles vont provoquer en eux de fortes émotions et du stress. Le cerveau humain a été programmé de la sorte pour des raisons de survie biologique afin d’optimiser les chances de survie des humains en tant qu’individu et en tant qu’espèce. Différentes études en concluent ainsi que le négatif est de façon quasi systématique plus fort que le positif, et ce, dans la plupart des domaines.


En outre, le cerveau humain tend également à déformer quelque peu notre perception de la réalité, via ce que l’on appelle des "biais cognitifs". C’est notamment le cas de ce que les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky ont qualifié d’"heuristique de disponibilité". Cela signifie que les individus ne vont pas évaluer la probabilité qu’un événement se produise ou sa fréquence sur la base de données empiriques, mais plutôt sur la facilité avec laquelle ils vont se remémorer un événement similaire dont ils ont généralement entendu parler dans les médias. Ils vont ainsi tendre à estimer que, plus un événement est mémorable, parce qu’il a généré en eux de fortes émotions, plus la probabilité qu’un événement similaire se produise sera élevée. Cela va ainsi les inciter, par exemple, à surestimer la probabilité d’un accident d’avion, d’un attentat terroriste ou d’une attaque de requin et à sous-estimer, parallèlement, la probabilité d’une chute, d’une noyade ou d’une électrocution accidentelles.


 

(6) Le sentiment selon lequel c’était mieux avant


La morosité et le pessimisme ambiant se nourrissent aussi d’un réflexe passéiste et nostalgique vieux comme le monde consistant à penser que "c’était mieux avant".


Cela renvoie bien évidemment en grande partie aux mythes de l’âge d’or ou du paradis perdu. Et c’est loin d’être nouveau. C’était mieux avant, un livre du philosophe Lucien Jerphagnon, qui a ressemblé un grand nombre de citations passéistes, montre que cela fait a minima plus de trente siècles que l’on pense que c’était mieux avant.


En réalité, des études montrent que l’on est à la fois victime d’un biais de négativité dans notre perception du présent et d’un biais positif par rapport au passé, dernier biais qui croit d’ailleurs avec l’âge. W. Richard Walker, John J. Skowronski et Charles P. Thompson expliquent ainsi dans un article que "la plupart des individus perçoivent leur vie comme étant plus souvent positive que négative et que les émotions négatives associées à de mauvais événements ont tendance à s’estomper avec le temps, alors que les émotions positives associées à de bons événements tendent à persister". Ils notent d’ailleurs que cela représente une exception à la vision selon laquelle le négatif est supérieur au positif.


 

(7) Des progrès largement invisibles


Un autre élément alimentant la morosité et le pessimisme réside tout simplement dans le fait que ce qui s’améliore ne se voit pas vraiment car, en général, les progrès sont graduels et imperceptibles. En revanche, ce qui se détériore est le plus souvent bien visible.


Hans Rosling explique ainsi dans Factfulness qu’"Il est facile d’être au courant de toutes les choses qui vont mal dans le monde. Il est plus difficile, en revanche, d’être conscient de ce qui va bien : des milliards de progrès passent inaperçus. […] Je parle de progrès fondamentaux, qui sont en train de changer le monde, mais sont trop lents, trop fragmentés, ou trop petits pris un par un pour passer aux informations". Cela correspond à ce que Maarten Boudry désigne comme la "loi de l’invisibilité des bonnes nouvelles" qu’il décrit ainsi : "le progrès se fait petit à petit et à bas bruit, alors que la régression se fait brutalement et attire tout de suite notre attention".


 

(8) Le paradoxe de Tocqueville


Un autre phénomène apparaît aussi important. Au fur et à mesure que les sociétés se développent et que la situation des individus s’améliore, en toute logique, leurs exigences tendent à augmenter et toute forme de recul devient particulièrement insupportable.


Ce phénomène est connu sous le nom de "paradoxe de Tocqueville". Alexis de Tocqueville exposait, en effet, le paradoxe suivant dans De la Démocratie en Amérique (1835) : "Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil, mais quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande". C’est ce qu’exprime bien également Maarten Boudry : "A mesure que les sociétés gagnent en sécurité et en prospérité, nous exigeons toujours plus d’elles et relevons toujours plus haut le seuil définissant le 'sûr' ou le 'prospère'. Plus les mauvaises nouvelles se font rares à nos oreilles, plus nous sommes choqués quand nous en entendons. D’où une conservation de l’indignation : qu’importent les progrès réalisés par notre espèce, la quantité totale de plaintes et de récriminations restera à peu près constante".

 


(9) L’obsolescence de nos connaissances


Les connaissances que l’on a de l’état et de la situation du monde ou même de son pays sont souvent obsolètes. C’est ce qui expliquerait en partie notre vision sombre de la réalité.


L’obsolescence de ces connaissances peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Celles-ci sont généralement liées à ce que l’on a appris durant nos études et dans nos manuels scolaires, alors que le monde change vite et que l’on a beaucoup de mal à intégrer et même souvent à prendre conscience de tous ces changements. On doit y rajouter également un certain nombre de préjugés, de biais idéologiques et bien évidemment, comme on l’a vu, la difficulté pour les médias de traiter des progrès lents. Paul Dolan, professeur à la LSE, estime quant à lui que les individus tendent à se montrer pessimistes sur les questions nationales ou internationales pour trois raisons : (1) ils pensent rarement à l’état du monde ou de leur pays et ils répondent aux questions dans les enquêtes sans trop y réfléchir ; (2) ils peuvent être influencés par la façon dont la question est posée ; (3) enfin, il convient de tenir compte de l’heuristique de disponibilité, et donc des événements récents qui ont pu se produire et qui sont restés gravés dans la mémoire des individus.


 

(10) Une perception angoissée des risques


Pour des auteurs, tels que Max Roser, Hans Rosling ou Steven Pinker, les statistiques sont sans aucun doute le meilleur moyen de voir et de comprendre le monde tel qu’il est vraiment.


Or, le public a souvent du mal avec les statistiques et les probabilités. Le cerveau humain a également un certain nombre de biais qui ne facilitent pas non plus leur compréhension. Le spécialiste de l’alimentation Claude Fischler explique ainsi qu’"on n’est pas vraiment bien équipé" pour faire des raisonnements probabilistes : "nous ne sommes pas capables, spontanément, d’adopter un raisonnement probabiliste. Il faut une gymnastique mentale importante".


Ceci a notamment un impact sur la perception des risques par le grand public. Ainsi, dans son évaluation des risques, celui-ci ne tend pas vraiment à s’appuyer sur des critères quantitatifs : la probabilité qu’un risque se matérialise (ex. accident d’avion vs. accident de voiture) ou bien le fameux principe de Paracelse selon lequel "c’est la dose qui fait le poison".


Les expériences, notamment menées à partir des années 1970 par Paul Slovic et son équipe, ont mis en évidence que, pour le public, les risques connus et maîtrisables ne font pas nécessairement l’objet de craintes particulières (ex. tabac, alcool, accidents de la route, ski alpin). En revanche, les risques jugés les plus élevés aux yeux du public sont ceux qui sont perçus comme invisibles et peu maîtrisables, tels que la radioactivité ou bien différents résidus présents dans des denrées alimentaires (résidus de pesticides ou d’antibiotique). De même, les expériences réalisées par le psychologue américain Paul Rozin montrent que le public n’adhère pas au principe de Paracelse. Pour ce dernier, il y a un risque à partir du moment où il y a du "poison" dans un produit quelle qu’en soit la dose. Claude Fischler en conclut que "Cela ne rentre pas bien dans nos têtes cette idée que la dose fait le poison, que le risque est un processus graduel, probabiliste. Le risque [pour le grand public], cela reste : oui/non". Enfin, il existe aussi souvent au sein du public une confusion entre risque et danger.


 

Ce texte est la version courte d’une étude publiée par la Fondation Jean Jaurès avec le titre suivant : "Pourquoi voit-on le monde plus sombre qu’il n’est en réalité ?".


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