Comment faire face au krach de l’optimisme ?
- eddyfougier
- 11 avr.
- 8 min de lecture

On voit bien que, depuis quelques semaines, les optimistes et autres positivistes ont la "gueule de bois". Le krach ne concerne pas seulement les marchés financiers. C’est aussi le cas pour l’optimisme.
Un article publié le 1er mars dans Le Monde indiquait ainsi à ce propos que "Pire que les gens qui pensent que le monde va mal, il y a ceux qui précisent, 'd’habitude, je suis quelqu’un d’optimiste, mais là…'. La phrase jette généralement un froid. Avoir autour de soi des indécrottables optimistes qui semblent soudain s’inquiéter, c’est un peu comme découvrir, lorsqu’un avion traverse une zone de turbulences, que l’hôtesse a peur. Ces 'habituellement optimistes' ont été nombreux à avouer être passés du côté du verre à moitié vide ces dernières semaines".
Cela a été le cas du psychologue cognitiviste Steven Pinker, qui a avoué avoir pris un coup au moral ces dernières semaines dans un post du 10 avril publié sur X : "Mes trois jours à TED ont redonné un peu d'optimisme après trois mois passés à voir les causes du progrès se démanteler. La technologie peut être un moteur de progrès indépendant du cycle électoral".

Dans un article publié le 27 février dans The Atlantic, le psychiatre Richard A. Friedman explique, en effet, que "C'est une période stressante pour être psychiatre aux États-Unis. Il ne se passe pas un jour sans qu'un patient ou un ami paniqué me demande comment garder les pieds sur terre face au chaos politique qui s'est soudainement emparé du pays. Un patient, un scientifique de 38 ans, craint que ses recherches soient bientôt privées de financement, mettant fin à sa carrière. Une bonne amie, professeure d'une soixantaine d'années, craint que les États-Unis ne sombrent dans l'autocratie. Comment, veulent-ils savoir, peuvent-ils se sentir mieux ? Ils n'ont pas apprécié la réponse que j'ai dû leur donner. C'est une chose difficile à dire pour un psychiatre, mais si vous êtes alarmé par l'accaparement du pouvoir exécutif par Donald Trump et ses efforts pour démanteler le gouvernement fédéral, vous avez peut-être raison".
Alors comment faire face à une telle période ?
Trois options semblent être sans aucun doute de mauvaises voies à suivre en la matière.
La première est le déni, qui se traduit, par exemple, par le fait de ne plus chercher à s’informer. Non seulement, ce n’est pas la solution, mais, comme l’écrit Richard A. Friedman, cela peut même être une source d’anxiété.
La seconde option à éviter est le biais pessimiste, voire catastrophiste. Cela ne peut que conduire au renoncement, à l’impuissance et finalement à une forme d’acceptation passive de la dégradation de la situation.
Enfin, la troisième option est, cela peut paraître à première vue paradoxal, le biais… optimiste, à savoir le sentiment que la situation va bien finir par s’arranger et que l’on va passer entre les gouttes. Cela ne peut que conduire à minimiser les risques et, là aussi, à inciter à tomber dans une forme de passivité. Ainsi que l’affirme Richard A. Friedman "L'optimisme nous détend et nous prive de l'envie d'agir. Mais l'angoisse, tel un détecteur de fumée, est une puissante force de motivation, capable de nous inciter à apporter les changements nécessaires à notre bien-être" (jusqu’à une certaine limite bien évidemment). Une expérimentation, dont les résultats avaient été publiés en 2011, a ainsi montré que les étudiants à qui l’on demandait d’imaginer que la semaine suivante serait positive se sentaient nettement moins motivés et dynamiques et moins productifs sur le plan scolaire que les étudiants à qui l’on demandait de visualiser tous les problèmes qui pourraient survenir au cours de la semaine suivante. Les auteurs de cette étude en concluaient que "l'une des raisons pour lesquelles les fantasmes positifs prédisent une faible réussite est qu'ils ne génèrent pas l'énergie nécessaire pour poursuivre l'avenir souhaité".
Il semble par conséquent primordial de ne pas être dans le déni et de choisir une forme de troisième voie entre pessimisme et optimisme. C’est aussi ce que nous enseignent la science de la communication du climat, ainsi que l’Histoire tout simplement.
Les enseignements de la science de la communication sur le climat
Des chercheurs ont étudié auprès de 460 participants l’impact sur leur comportement de leur participation à un atelier de la "Fresque du climat". Ces résultats ont été divulgués récemment dans un article publié par Hélène Jalin dans Conversation France.
Ce qui va plus particulièrement nous intéresser ici, c’est "l’impact de la tonalité émotionnelle de l’atelier sur son efficacité", via trois "modalités d’animation" :
(1) une modalité "stressante", qui insiste sur les risques
(2) une modalité rassurante, qui insiste sur les réussites et les progrès déjà accomplis
(3) une modalité "mixte", qui insiste sur les risques, puis sur les progrès.
Or, d’après les chercheurs, "la modalité d’animation la plus efficace pour faire évoluer les participants était celle qui adoptait une tonalité mixte. C’est-à-dire celle dans laquelle les participants étaient confrontés aux mauvaises nouvelles, puis exposés à des informations plus positives : le stress, puis l’espoir".
Hélène Jalin en tire la conclusion selon laquelle "désespérer des personnes, les confronter à leur impuissance sans leur donner le moindre espoir, ce n’est pas mobilisateur, ça pousse simplement au déni. Dans la modalité mixte, le fait de donner de bonnes nouvelles en fin d’atelier a permis aux participants de percevoir la situation comme moins incontrôlable et leur a probablement donné envie d’agir pour contribuer aux efforts collectifs". Elle rappelle à ce propos que "plus les humains percevront la situation comme désespérée, moins ils auront tendance à agir pour résoudre le problème".
L’association Parlons climat y avait fait déjà référence dans ses "11 conseils pour mieux parler d’écologie" : "Des messages positifs (axés sur les solutions, l’impact individuel, la réduction des émissions mondiales) augmentent certes l’espoir, mais réduisent la perception des risques et ne provoquent pas suffisamment de passage à l’action. A l’inverse, des messages alarmistes accélèrent les intentions d’adaptation au changement climatique et amplifient la perception des risques. Mas, ces informations peuvent submerger une partie de l’audience qui se réfugiera plutôt dans l’immobilisme. Un discours entre gravité et espérance semble être le compromis idéal pour faire prendre conscience et motiver".

Cela fait en particulier écho à une étude scientifique publiée en 2021 par Tobias Brosch sur "le rôle de l'affect et de l'émotion dans les perceptions et les jugements liés au changement climatique, ainsi que leur potentiel comme moteurs d'actions durables".
Les enseignements de l’Histoire
Cette articulation entre pessimisme et optimisme est également sans aucun doute l'une des grandes leçons des événements dramatiques du XXe siècle. On peut se référer à cet égard à trois grands discours :
(1) Le discours du 13 mai 1940 de Winston Churchill, connu sous le nom de discours du sang et des larmes
(2) L’appel du 18 juin 1940 de Charles de Gaulle
(3) Le discours du 8 décembre 1941 du président des Etats-Unis Franklin Delano Roosevelt, suite à l’attaque de Pearl Harbor, connu sous le nom du discours de l’infamie.
Ils ont été prononcés dans des périodes particulièrement terribles – perspective de la bataille d’Angleterre pour le premier, défaite de l’armée française pour le second, attaque de Pearl Harbor pour le troisième – et ils suivent tous le même type de raisonnement.
Ils tendent tout d’abord à mettre l’accent sur la nécessaire prise de conscience de l’extrême gravité de la situation :
"Nous nous trouvons au seuil d’une des plus grandes batailles de l’histoire" ; "qu’il me soit permis de tenir à la Chambre le même langage qu’à mes collègues du gouvernement : ‘Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur’. Nous avons devant nous une épreuve de première grandeur. Nous avons devant nous, de très longs mois de lutte et de souffrance. Vous me demandez quelle est notre politique ? Je vous réponds : faire la guerre, sur mer, sur terre et dans les airs, avec toute notre puissance et toute la force que Dieu peut nous donner ; faire la guerre contre une tyrannie monstrueuse, qui n’a jamais eu d’égale dans le sombre et lamentable catalogue des crimes humains. Voilà notre politique" (W. Churchill).
"Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat. Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi […] Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui" (C. de Gaulle)
"Hier, 7 décembre 1941 […] les Etats-Unis d’Amérique ont été l’objet d’une attaque soudaine et préméditée de la part des forces aériennes et navales de l’Empire du Japon. […] Le Japon a donc déclenché par surprise une offensive qui s’étend à toute la région du Pacifique. Après ce qui s’est passé hier, tout commentaire serait superflu. Le peuple américain s’est déjà fait une opinion et comprend bien la portée du danger qui menace la vie même et la sécurité de notre nation" ; "Il n’y a pas à se dissimuler que notre peuple, notre territoire et nos intérêts, sont en péril". (F. D. Roosevelt)
Mais ces discours se concluent également à la fois par un message d’espoir et par un engagement à agir et à se battre jusqu’au bout :
"Vous me demandez quel est notre but. Je vous réponds en deux mots : la victoire, la victoire à tout prix, la victoire malgré toutes les terreurs, la victoire quelque longue et dure que puisse être la route car, hors la victoire, il n’est point de survie. Comprenez le bien : […] pas de survie pour l’immémorial effort vers les buts supérieurs de l’humanité. Mais c’est plein d’espoir et d’entrain que j’assume ma tâche, assuré qu’il ne sera pas infligé à notre cause de faillir devant les hommes. Conjonctures qui m’autorisent – je pense – à réclamer l’aide de tous, et à dire ‘Allons, en avant tous, unis et forts'" (W. Churchill)
"Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! […] Cette guerre n’est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés par une force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là. […] Quoi qu’il arrive, la Flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas » (C. de Gaulle)
"Peu importe le temps qu’il nous faudra pour refouler cette invasion préméditée, le peuple américain, fort de son droit, se fraiera un chemin jusqu’à la victoire totale. Je crois être l’interprète de la volonté du Congrès et du peuple en déclarant que non seulement nous nous défendrons jusqu’à l’extrême limite de nos forces mais que nous agirons de façon à être bien sûrs que la menace d’une attaque brusquée de ce genre ne pèsera plus jamais sur nous" ; "Confiants en nos forces armées, nous remporterons l’inévitable triomphe grâce à la résolution inébranlable de notre peuple" (F. D. Roosevelt)
C’est à coup sûr une telle approche que nous devons avoir face aux périls qui s’accumulent dans la période actuelle :
(1) Il est absolument nécessaire de reconnaître la gravité de la situation, pour la démocratie libérale, la science, la lutte contre le dérèglement climatique, la paix en Europe, l’évolution économique globale, le sort des populations dans les pays pauvres…
(2) Il est tout autant crucial de s’engager, d’une manière ou d’une autre, dans l’action avec détermination et avec la ferme volonté de "triompher" en défendant ses valeurs.
C’est la combinaison de ce que le spécialiste de l’optimisme Philippe Gabilliet qualifie d’"optimisme de but" et de "pessimisme de chemin". Cela vaut sur le plan collectif, comme sur le plan personnel. Cela fait écho à ce que nous appelons le "réalisme solutionniste", à savoir le fait de partir d’une vision lucide de la réalité, avec le moins de filtre et de biais possibles, tout en faisant le pari qu’il y a des solutions – qui sont à identifier ou à inventer – pour faire face aux immenses défis qui se dressent devant nous.
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