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France : les dix raisons de ne pas désespérer


A en croire la plupart des commentateurs qui s’expriment dans l’espace public, les résultats de très nombreuses enquêtes d’opinion, le point de vue d’experts, d’hommes et de femmes politiques, de syndicalistes, de représentants du monde associatif, d’intellectuels ou d’artistes, la France va mal et même de plus en plus mal. Le pays serait en déclin, au bord de l’explosion sociale, voire de la guerre civile, avec une extrême-droite, ou une gauche radicale, au choix, aux portes du pouvoir. Fragmentation et polarisation de la société, grande angoisse de la "France périphérique" (C. Guilluy) et en particulier des catégories populaires et des classes moyennes qui "décrochent", désindustrialisation, déclin économique et démographique de nombreux territoires, endettement public élevé, difficile accès à la propriété pour une partie des Français, communautarismes, voire séparatisme, insécurité, attentats de masse, mouvements sociaux d’ampleur – contre la loi Travail (2016), Gilets jaunes (2018-2019), d’opposition à la réforme des retraites (2019-2020) ou d'opposition au passe sanitaire (2021) –, effondrement des deux grandes forces politiques qui se sont partagées le pouvoir depuis 40 ans (droite traditionnelle et Parti socialiste), les symptômes de cette grande crise nationale sont maintenant bien connus et amplement commentés.


Les Français, quant à eux, seraient au plus mal, en colère, dégoûtés par la politique, défiants à l’égard des élites, pessimistes, nostalgiques (adeptes du fameux "c’était mieux avant"), éco-anxieux, obnubilés par le déclassement social, tentés par le vote extrême ou bien par la "désertion" ou la "bifurcation" personnelle à l’instar de ces étudiants d’AgroParisTech qui se sont exprimés récemment lors de la remise de leur diplôme.

Personne ne nie le fait qu’une partie de la société française est en souffrance et a vu sa situation se dégrader dans la période récente, comme en attestent, par exemple, les enquêtes régulièrement menées par le Secours populaire ou comme le montrent les données divulguées par la Banque alimentaire ou par les Restos du cœur. Beaucoup de Français subissent en particulier le contrecoup de la montée des dépenses contraintes ces dernières décennies. D’après l’Insee, celles-ci sont passées de moins de 15% du revenu disponible en 1960 à près de 30% en 2020. De nombreux territoires se situant dans la "France périphérique" sont également en grande difficulté en cumulant les handicaps. Ils correspondent largement au vote Le Pen.


Mais, plusieurs éléments amènent aussi à penser que le pays et ses habitants ne vont peut-être pas aussi mal que ça. Il ne s’agit pas ici de se comparer à des pays en crise profonde, tels que l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen ou l’Ukraine, de se lancer dans une quelconque entreprise de justification du "Système", ou de chercher à établir un bilan positif du premier mandat d’Emmanuel Macron. Non, il s’agit tout simplement de voir aussi ce qui va bien et ce qui va mieux en France depuis quelques temps, de comparer la situation française à celle de pays équivalents et même d’écouter un peu ce que l’on dit de nous ailleurs.


Or, si l’on effectue ce travail de façon un peu froide et objective, on peut identifier au moins dix bonnes raisons de ne pas désespérer de la France et des Français.


(1) Une forte résilience face à l’adversité


On doit en premier lieu reconnaître que, ces dernières années, la société française a su faire preuve d’une forte résilience face à l’adversité, notamment suite aux attentats de masse perpétrés en 2015-2016 ou, par exemple, à l’assassinat de Samuel Paty, et est restée globalement stable. Un peu contre toute attente, les Français se sont également adaptés aux contraintes liées à la crise sanitaire (confinement, couvre-feu, port du masque, gestes barrière…) – ils appelaient même quelquefois à des mesures encore plus sévères que ce que le gouvernement préconisait – et se sont fait massivement vacciner contre la Covid-19.



(2) Un décalage entre la société et la représentation que l’on en a


Des sondeurs, des journalistes ou des observateurs commencent aussi à faire passer le message selon lequel la représentation que nous avons de la société française ne correspond peut-être pas tout à fait à la réalité de cette société. Comme l’écrivent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely dans La France sous nos yeux (Seuil, 2021), "L’écart entre le pays tel qu’il se présente désormais à nos yeux et les représentations que nous en avons est abyssal". Le pays a, en effet, "irrémédiablement changé depuis la fin des Trente Glorieuses" et collectivement, nous n’en avons sans doute pas suffisamment pris conscience.


De même, au terme d’une vaste enquête menée sur le terrain par les journalistes du Monde, Jérôme Fenoglio, le directeur du quotidien, en conclut que "si l’on veut bien s’éloigner des plateaux télévisés et des chaînes d’opinion, si l’on veut bien laisser les sondages et les réseaux sociaux à leur place, si l’on veut bien ouvrir les yeux, la société française paraît infiniment plus complexe, plus composite, plus riche que le portrait qui nous en est habituellement dressé".

Cela vaut en particulier pour les soi-disant tensions identitaires qui caractériseraient le pays. Les travaux de l’Observatoire des identités de l’Institut Viavoice montrent ainsi un décalage "entre une bonne partie des Français et les médias, les politiques, voire certaines entreprises qui aiment agiter ces peurs-là, supposées exciter une partie de l’opinion. Mais une petite partie seulement. La majorité silencieuse est franchement indifférente à ses querelles". Le cœur de la société se montre donc largement indifférent à ces querelles identitaires : "Les extrêmes se radicalisent, mais le cœur de la société ne se radicalise pas", d’autant que "les Français n’ont pas envie d’en découdre : ils sont inquiets, attachés à leur mode de vie et pacifiques".



(3) Des Français heureux de vivre en France (malgré tout)


Ceci semble être aussi lié aux questions que l’on pose aux Français dans les enquêtes et à la façon dont on les interroge (est-ce qu’on leur donne deux réponses possibles par exemple ou plus ?).


Le livre de Thierry Keller et Arnaud Zegierman Entre déclin et grandeur (Editions de l’aube, 2021) s’appuie ainsi sur les résultats d’une enquête basée sur une méthodologie spécifique qui donne des résultats assez étonnants. Les auteurs ont, en effet, tout d’abord écouté ce que disaient les Français dans une phase qualitative, ce qui leur a permis d’adapter les questions qu’ils leur ont posées ensuite dans le cadre d’une enquête quantitative. Résultat, même si 63% des Français interrogés ne diraient pas que la France est un pays qui va bien et si ceux-ci se montrent majoritairement inquiets pour leur avenir personnel et pour celui des générations futures, 81% d’entre eux considèrent tout de même que la France est un pays dans lequel ils se sentent bien, 82%, que vivre en France est agréable, 78%, qu’elle est un pays attractif pour y vivre (mode de vie), ou 69%, qu’elle est un pays qui fait envie. Au final, 88% des personnes sondées s’estiment chanceuses de vivre en France. Dans une tribune publiée dans La Croix, les deux auteurs en concluent que "les Français sont heureux. Anxieux, mais heureux. 90% d'entre eux 'réclament de l'apaisement', 81% se 'sentent bien en France', 88% s'estiment 'chanceux de vivre en France', 69% que la France 'fait envie'. On est loin d'un pays au bord de la guerre civile. Le tableau qui ressort est plutôt celui d'un pays qui a bien conscience d'être privilégié, mais qui attend un projet remobilisateur".


(4) Des Français qui sous-estiment sans doute leur bien-être personnel


L’édition 2020 du rapport Le Bien-être en France de l’Observatoire du bien-être indiquait que "les Français sont en moyenne moins satisfaits de leur vie que ne le voudrait le niveau de richesse du pays". On tend généralement à considérer que "plus un pays est riche, plus ses habitants sont en moyenne satisfaits de la vie qu’ils mènent". Or, "malgré un niveau de revenu moyen élevé, une inégalité contenue et une espérance de vie élevée, les Français déclarent une satisfaction de vie en retrait de celle des habitants des autres pays européens dans des situations comparables. En d’autres termes, un Français va en moyenne se déclarer moins heureux qu’un Allemand ou un Danois dont la situation familiale, la qualification et les revenus seraient d’un niveau similaire".


Le rapport parle à ce propos d’un "paradoxe français" : "en France, de meilleures conditions de vie échouent à se traduire en un niveau de satisfaction plus élevé". Cela tendrait donc à prouver également a contrario que les Français en moyenne ne vont sans doute pas aussi mal qu’ils ne le disent dans les enquêtes.



(5) Des étrangers qui ne comprennent pas pourquoi les Français sont en colère


C’est ce que semblent dire également certains commentateurs étrangers lorsqu’ils analysent la situation française. C’est par exemple le cas du journaliste anglais David Goodhart, fin observateur de la société britannique puisque c’est lui qui a inventé le clivage Anywhere-Somewhere en analysant la campagne et les résultats du référendum de 2016 sur le Brexit. Pour lui, "Le fait que la France soit si en colère est quasiment inexplicable pour les autres pays européens. D'autant qu'elle l'est à propos de choses dont le gouvernement se préoccupe, et plutôt bien. La part de la richesse nationale que la France consacre aux dépenses publiques est très élevée. Tous les pays capitalistes ont un niveau de redistribution important, mais la France a l'un des plus élevés d'Europe. Le problème semble donc essentiellement psychologique: comme si les écarts de statut posaient plus de problèmes que la réalité des situations individuelles".


Même incompréhension chez Laurent Sagalovitsch qui essaie, depuis le Canada, de comprendre les raisons pour lesquelles les Français ne sont jamais contents. D’après lui, "Les Français ont le culte du malheur. À les entendre, ils vivent dans un pays qui ressemblerait à une vision non expurgée de l'enfer, un pays où rien ne va jamais, où tout, absolument tout, part à vau-l'eau, l'université comme l'hôpital". Il estime que "C'est le grand danger qui guette la France dans les années à venir. À force de tout peindre en noir, d'attendre de l'État à peu près tout, de passer son temps à se plaindre et à envier le sort de son voisin, de considérer l'étranger comme la cause de tous ses problèmes –réels ou prétendus– on finit par éteindre en soi toute appétence pour le bonheur, tout goût de profiter de l'existence comme elle se présente".



(6) Des tendances lourdes montrant un autre visage de la société française


Les enquêtes menées sur une longue période tendent également à donner une autre image du pays que ce que l’on entend ou dit communément. C’est le cas en particulier des résultats des enquêtes régulièrement menées depuis 1981 sur les valeurs des Français dans le cadre des enquêtes sur les valeurs des Européens (European Values Study). L’ouvrage collectif La France des valeurs (PUG) publié en 2019 sous la direction de Pierre Bréchon, de Frédéric Gonthier et de Sandrine Astor indique ainsi qu’"on observe […] plusieurs dynamiques allant dans le sens de la convergence entre les valeurs portées par les différents groupes politiques et sociaux. De ce point de vue, la société française conserve un fort potentiel cohésif et n’est pas aussi fracturée qu’on pourrait le craindre".


Parmi les tendances lourdes identifiées dans cet ouvrage, on peut notamment mentionner la "montée de la tolérance à l’égard d’autrui et de la liberté de choix" et la "recherche grandissante d’autonomie, d’expression de soi et d’émancipation par rapport aux cadres sociaux traditionnels", qui n’est pas pour autant "synonyme de replis sur soi, d’égoïsme ou d’anomie".


On peut également y constater que, s’ils sont pessimistes pour l’avenir du pays, les Français sont néanmoins en moyenne plutôt satisfaits de leur existence. Cette satisfaction tend même à croître depuis 40 ans (Graphique).



(7) La France a toutes les caractéristiques d’un pays riche


La France fait partie des économies les plus riches du monde. La richesse du pays a été multipliée par 4 depuis 1980, en termes de PIB en dollars courants (données FMI) :

-1980 : 701,3 Mds de dollars

-1990 : 1269,1 Mds de dollars

-2000 : 1362,5 Mds de dollars

-2010 : 2642,4 Mds de dollars

-2021 : 2935,5 Mds de dollars



La France figure aussi parmi les pays les plus riches du monde par habitant. En 2021, elle se situait au 22e rang mondial, en termes de PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (données FMI).




Le PIB par habitant de la France en dollars de parité de pouvoir d’achat a été multiplié par 5 depuis 1980 et même par près de 2 depuis 2000 (données FMI):

-1980 : 10756 dollars

-1990 : 19689 dollars

-2000 : 28576 dollars

-2010 : 37349 dollars

-2021 : 51364 dollars




(8) Des Français parmi les mieux lotis du monde


La richesse d’un pays et de sa population ne se mesure pas seulement de façon matérielle. Elle peut être aussi évaluée à travers le concept de "développement humain". Or, là aussi, la France fait partie des pays qui ont un Indice de développement humain (IDH) parmi les plus élevés au monde (Données Our World in Data). Rappelons que l’IDH est évalué par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur la base de trois critères : espérance de vie, éducation et niveau de vie.



L’espérance de vie à la naissance en France métropolitaine a ainsi progressé de près de 20 ans depuis l’après-guerre (données INED) :

-1740 : 25 ans

-1946 : 59,9 ans

-1960 : 67,0 ans

-1980 : 70,2 ans

-2000 : 75,3 ans

-2021 : 79,4 ans



La France fait d'ailleurs partie des pays dans le monde où l'espérance de vie à la naissance est la plus élevée (Données Our World in Data).



Autre symptôme du développement d’un pays, le taux de mortalité infantile a fortement chuté depuis la Seconde Guerre mondiale (Insee) :

-1946 : 77,8 enfants décédés pour 1 000 enfants nés vivants

-1960 : 27,4

-1980 : 10,0

-2000 : 4,4

-2021 : 3,4


Les Français ont aussi beaucoup de chances de vivre en démocratie. La France figure, en effet, parmi les plus anciennes démocraties au monde (l’un des 23 pays qui sont une démocratie depuis au moins 60 ans) et elle fait partie des quelques démocraties libérales dans le monde (34 au total d’après les données Our World in Data).


La France fait tout autant partie des pays les plus sûrs du monde. Elle se situe parmi les pays où le taux d’homicides et la part des homicides dans les décès sont les plus faibles (Données Our World in data).



La France figure parmi les pays développés où les inégalités de revenu sont les plus faibles (inégalités mesurées par l'indice de Gini – données Our World in Data).


Ce n’est donc sans doute pas un hasard si la France arrive en 7e position parmi les meilleurs endroits au monde pour prendre sa retraite selon l'Annual Global Retirement Index.



Enfin, la France fait également partie des pays les mieux classés dans le Rapport mondial sur le bonheur.



(9) Les Français font preuve d’un grand dynamisme


La société française sait faire preuve d’un grand dynamisme, ce que l’on ne perçoit pas forcément en tant que tel dans l’espace public. Cela concerne tout d’abord la société civile. Ainsi, une source officielle indique que "depuis les années 70, le mouvement associatif fait preuve d’une vitalité remarquable. Plus d’associations ont été créées durant les trente dernières années que depuis 1901 ! Aujourd’hui, on estime à 1,3 million le nombre d’associations en activité et chaque année, 70 000 associations nouvelles se créent (contre 20 000 dans les années 70)". Les associations comptent ainsi 12,7 millions de bénévoles en France.


Cela concerne tout autant l’économie. Ainsi, d’après l’Insee, près d’un million d’entreprises ont été créées en France en 2021. Jamais un tel chiffre n’avait été atteint. Près de 15 000 brevets ont été déposés l’année dernière (Inpi). La France est également devenue un pays de licornes à partir du moment où l’objectif fixé par Emmanuel Macron d’atteindre 25 start-ups valorisées plus d’un milliard d’euros a été largement atteint.



(10) La France dispose (encore) de nombreux atouts


La France est la seconde puissance économique de l’Union européenne, l’un des principaux pôles économiques mondiaux. Elle reste l'un des rares pays détenteurs de l'arme atomique et membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Le CEOWORLD Magazine classe ainsi la France comme le cinquième pays le plus puissant du monde, après les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde.


Le quotidien La Croix a essayé d’évaluer en février 2022 quels étaient les points forts français. D'après le quotidien, la France a l’un des meilleurs réseaux de transports au monde. Elle a l’un des meilleurs accès à internet. Elle a un excellent secteur de recherche. Elle a une grande influence culturelle. Elle est bien insérée dans les flux économiques mondiaux, notamment pour l’accueil d’investissements étrangers et de touristes internationaux. Elle est aussi un pays innovant. Enfin, la France est plutôt vertueuse en termes d’émissions de CO2 par habitant ou pour la place des femmes aux postes de pouvoir.


Un peu plus tôt, en décembre 2021, une vidéo d'Alexandre Mirlicourtois avait été mise en ligne sur le site Xerfi Canal pour mettre également en avant les points forts de la France car "Par morosité ambiante et pédagogie du déclin, nous les perdons trop souvent de vue". D’après lui, ces points forts sont les suivants : la "marque France", qui allie culture, esthétique, art de vivre etc. La France est quasiment une exception dans le monde en disposant de toutes les formes touristiques : tourisme de relaxation (hivernal et estival), tourismes culturel, religieux, d’affaires. La France est une puissance militaire qui a développé une industrie de la défense de premier ordre. Notre mix électrique est l’un des moins coûteux et des moins carbonés au monde. La productivité des travailleurs français (salariés ou indépendants) qui font partie des plus productifs d’Europe. La qualité des infrastructures françaises. Notre potentiel d'innovation et de créativité, dont témoigne la fleuraison des start-up de croissance. Notre endettement privé maîtrisé. Notre puissance agricole, etc.



Au final, ainsi que l’écrit La Croix, la France ne se porte pas si mal et "n’a aucune raison de vivre dans la hantise permanente du décrochage". On peut même aller plus loin avec Alexandre Mirlicourtois en affirmant que "La France dispose non seulement d'atouts à valoriser mais aussi de tous les savoir-faire nécessaires face au monde qui vient". Sans tomber dans une forme de cocorico ou de fierté nationale malvenues, force est néanmoins de constater que les raisons d’espérer en France sont largement aussi importantes que les raisons de désespérer.




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