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Les entretiens du positif : Comment bien vivre son éco-anxiété avec Pierre-Eric Sutter




Ces dernières années, la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes un peu partout sur la planète – c’est le cas en particulier durant les périodes estivales comme on peut le voir en ce moment dans certaines parties du globe – montrent bien le caractère de plus en plus tangible du dérèglement climatique. Cela génère une éco-anxiété au sein d’une partie notable de la population.


Qu’est-ce que l’éco-anxiété ? Est-ce une maladie ? Quelle est l’ampleur de ce phénomène ? Et surtout est-il possible de vivre, et même de bien vivre, cette éco-anxiété ?


Pour répondre à ces différentes questions, l’Observatoire du Positif a décidé de s’adresser à Pierre-Eric Sutter, qui est notamment psychologue du travail et psychothérapeute spécialisé en éco-anxiété. Il dirige l'Observatoire de l'éco-anxiété (OBSECA), le premier observatoire en France spécialisé en la matière, et a créé la Maison des éco-anxieux.


Pierre-Eric Sutter définit l’éco-anxiété comme une "détresse mentale et psychique face aux enjeux climatiques et environnementaux". Ce n’est pas une maladie, mais un mal-être qui peut néanmoins "rendre gravement malade si elle perdure ou s'intensifie et basculer vers une pathologie mentale comme une dépression réactionnelle ou un trouble anxieux généralisé".


L’OBSECA a tenté d’"établir le tout premier état des lieux de l'éco-anxiété en France". Il en ressort que 5% des Français, soit 2,5 millions de personnes, sont très fortement éco-anxieux. Ces données indiquent également que "La jeunesse n'est pas un facteur déterminant d'éco-anxiété" car celle-ci affecte aussi les moins jeunes. Cela signifie que nous allons faire face potentiellement à "un problème de santé publique que nous aurons du mal à affronter à mesure que les dérèglements climatiques se multiplieront".


Néanmoins, pour Pierre-Eric Sutter, il est possible de "bien vivre son éco-anxiété", titre d'un livre qu'il a co-écrit sur le sujet. Il donne ainsi les 5 conseils suivants : 1/ "Réduire le flux des mauvaises nouvelles et les contrebalancer par les bonnes nouvelles" ; 2/ "Gérer son écostress en se focalisant sur ce qui dépend de soi, pas sur ce qui ne dépend pas de soi" ; 3/ "Affronter la doxa consumériste" en trouvant "le juste milieu entre d'une part intégrité - en matière d'alignement entre ses valeurs écologiques et ses comportements - et d'autre part intégrisme" ; 4/ "Travailler sur son angoisse de finitude" et 5/ "Concevoir et formaliser un écoprojet: c'est le passage à l'action".


Il rappelle notamment que "Si vous ne contrebalancez pas le plateau des mauvaises nouvelles par un plateau équivalent de bonnes nouvelles, vous glissez vers le mal-être, en vous focalisant sur ces mauvaises nouvelles et en les ressassant". C'est cette même vision qui a été à l'origine de la création de L’Observatoire du Positif.



L’Observatoire du Positif : Vous êtes psychologue du travail et psychothérapeute spécialisé notamment en éco-anxiété. Vous dirigez également l'Observatoire de l'éco-anxiété (OBSECA), qui est le premier observatoire spécialisé en la matière en France, et vous êtes à l'origine de la création de la Maison des éco-anxieux. Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l'éco-anxiété ? Et d'abord, comment définissez-vous l'éco-anxiété ? Quels sont également les rôles respectifs de l'OBSECA et de la Maison des éco-anxieux ?


Pierre-Eric SUTTER : Pour définir l'éco-anxiété, n'ayant trouvé nulle référence dans le CIM-10 de l'OMS (répertoire des maladies qu'utilisent tous les personnels de soin) quand j'ai vu venir mes premiers patients éco-anxieux dans mon cabinet, j'ai dû me faire ma propre revue de littérature scientifique pour m'appuyer sur les travaux des chercheurs. J'ai ainsi pu comparer leur définition à ce que je pouvais constater empiriquement depuis 7 ans au chevet de mes patients qui se déclarent éco-anxieux. C'est la définition de Hogg & al. (2021) qui me parait la plus proche et que je paraphrase ainsi : "détresse mentale et psychique face aux enjeux climatiques et environnementaux". Plus que la définition, ce qui m'a intéressé dans les travaux de cette équipe de chercheurs austral-néozélandais, c'est 1/ le lien avec un tableau clinique de symptômes ventilés en 4 familles, 2/ une échelle permettant de poser un diagnostic psychométrique de l'éco-anxiété. Ces tableau et échelle sont d'un grand secours pour tout praticien face à un éco-anxieux et c'est pourquoi j'ai cherché à transposer cette échelle dans l'environnement culturel français avec les praticiens et chercheurs de l'OBSECA qui ont travaillé sur cette transposition. De fil en aiguille, comme je constatais auprès de ma patientèle d'éco-anxieux que nombre d'entre eux avaient vécu la déconvenue de s'entendre dire par des personnels de soin vu avant moi qu’ils ne connaissaient pas l'éco-anxiété et surtout comment la traiter, je me suis dit qu'il fallait offrir un service de consultation gratuite avec des psys bénévoles formés à l'éco-anxiété, en mesure d'établir un premier diagnostic d'urgence afin de proposer une prise en charge pour les personnes les plus fortement éco-anxieuses. Car même si l'éco-anxiété n'est pas une maladie mais un mal-être (une détresse psychologique ou une dégressivité comme on dit dans notre jargon de psy), elle peut rendre gravement malade si elle perdure ou s'intensifie et basculer vers une pathologie mentale comme une dépression réactionnelle ou un trouble anxieux généralisé.



L’Observatoire du Positif : L'OBSECA a évalué en 2022 le nombre d'éco-anxieux en France à 2,5 millions. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'ampleur et la profondeur du phénomène en France ? Est-ce un phénomène que l'on retrouve aussi dans d'autres pays ?


Pierre-Eric SUTTER : Pour l'instant, il est difficile d'établir des comparaisons entre les pays car il faudrait que les chercheurs ou les praticiens qui mesurent l'éco-anxiété utilisent tous la même échelle. Nous avons utilisé l'échelle d'éco-anxiété de Hogg dans le processus de validation de sa transposition française afin d'établir le tout premier état des lieux de l'éco-anxiété en France, notamment en enrichissant cette échelle d'un étalonnage en 5 degrés d'intensité. Ainsi, nous avons constaté que 50% des Français adultes n'étaient pas ou très peu éco-anxieux tandis que 5% l'étaient très fortement, au point que cela menace leur santé mentale, leur score moyen étant similaire au score moyen de mes patients éco-anxieux, lors de leur première séance. Nous avons chassé quelques idées reçues, notamment celle tenace que les jeunes seraient plus éco-anxieux que les moins jeunes, or il n'en est rien. La jeunesse n'est pas un facteur déterminant d'éco-anxiété. Seule la classe d'âge des retraités paraît moins éco-anxieuses que tout le reste de la population; serait-ce un effet "boomers"?... Une autre chose intéressante qui mériterait un approfondissement pour en comprendre le fondement : les femmes sont plus éco-anxieuses que les hommes. Ce sont pour l'instant des scores bruts qui devront être confirmés et affinés dans des articles et recherches ultérieurs. Nous avons beaucoup de pain sur la planche ! Pour revenir sur le nombre de personnes fortement éco-anxieuses, ce chiffre de 2,5 millions nous a fait l'effet d'une bombe. Sachant qu'il y a environ 78 000 psys en France, déjà fortement occupés par l'accroissement des détresses psychologiques et pathologies mentales post-Covid, si même 1% de ces français fortement éco-anxieux basculent en psychopathologie (comme je l'ai vu pour certains de mes patients que j'ai vu hospitalisé en HP pour dépression réactionnelle et tentative de suicide suite à leur éco-anxiété), nous serons en France face à un problème de santé publique que nous aurons du mal à affronter à mesure que les dérèglements climatiques se multiplieront...




L’Observatoire du Positif : Comment lutter contre l'éco-anxiété et même comment "bien vivre son éco-anxiété", pour reprendre le titre du livre que vous avez co-écrit avec Sylvie Chamberlin et publié en 2023 ?


Pierre-Eric SUTTER : La réponse est tellement longue qu'il m'a fallu écrire ce livre que je vous conseille de lire parce qu'il est truffé de plus d'une centaine de témoignages d'éco-anxieux qui racontent comment ils ont lutté contre leur éco-anxiété et l'ont dépassée ! Plus sérieusement et synthétiquement, voici les 5 conseils principaux.


1/ Réduire le flux des mauvaises nouvelles et les contrebalancer par les bonnes nouvelles ; il y en a beaucoup plus qu'on ne l'imagine ! Cela nécessite également d'identifier des "éco-témoins" qui sont déjà passés par là et qui oeuvrent pour combattre les conséquences de nos actions défavorables pour la planète.


2/ Gérer son écostress en se focalisant sur ce qui dépend de soi, pas sur ce qui ne dépend pas de soi, je donne un exemple; je ne peux rien faire contre la fonte de la banquise, c'est inéluctable ; inutile donc de gâcher mes ressources personnelles à me lamenter ou à chercher à m'opposer à ce phénomène. Il vaut mieux que je réoriente mes ressources personnelles vers un objectif d'action réaliste et réalisable, à ma portée. Par exemple, m'investir dans une ONG qui s'est donné pour mission de sauver la faune ou la flore endémique du pôle Nord pour le transposer vers le pôle Sud.


3/ Affronter la doxa consumériste : l'éco-anxieux est quelqu'un qui a vécu une "écométanoïa", une conversion écologique, un retournement du regard parfois radical, un changement de perspective en termes de vision du monde et de valeurs. Il ne souhaite plus adhérer à l'imaginaire, aux mythes, aux valeurs ou comportements consuméristes ; pourtant, il fait encore partie de cette société qui prône ces idéaux consuméristes. Pour autant, l'éco-anxieux ne veut pas renoncer à sa machine à laver pour laver son linge et aller dans les anciens lavoirs de nos villages d'antan ou envoyer des pigeons voyageur et renoncer à son smartphone. Il s'agit de trouver le juste milieu entre d'une part intégrité - en matière d'alignement entre ses valeurs écologiques et ses comportements - et d'autre part intégrisme. L'éco-anxieux, parce qu'il est "titillé" par l'angoisse de finitude (il voit la mort roder partout : mort physique, dans l'effondrement des effectifs de certaines espèces mais aussi mort symbolique dans la fin d'un modèle consumériste à bout de souffle ou dans la fin d'un climat tempéré en Europe méridionale), a tendance à vouloir imposer ses valeurs écologiques à son entourage pour aller vite et contrer les comportements mortifères de sa famille, de ses amis ou collègues (prendre l'avion ou sa voiture de façon excessive et rejeter des gaz à effet de serre). Il est tenté de radicaliser son passage à l'action ce qui risque de le faire passer pour un "khmer vert". Un juste milieu doit être trouvé pour rester dans une éthique de conviction qui se conjugue avec une éthique de responsabilité, en phase avec la règle d'or en éthique "ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu'on te fasse".


4/ Travailler sur son angoisse de finitude: il s'agit de faire la paix avec la mort et de déculpabiliser l'être humain, qui a certes une part de responsabilité sur la mort qu'il sème autour de lui, mais qui n'en est pas la cause absolue. J'en veux pour preuve qu'avant la 6e extinction massive que nous contribuons à provoquer avec nos activités thermo-industrielles, il y a eu 5 extinctions massives pour laquelle l'homme n'a aucune responsabilité puisqu'il n'était pas encore apparu sur Terre... Tout l'enjeu consiste à parier sur la puissance de la nature, conjuguée avec l'intelligence humaine comme force de vie et d'en être l'un des artisans au travers d'un écoprojet.


5/ Concevoir et formaliser un écoprojet : c'est le passage à l'action, car pour paraphraser St-Exupéry, "seule l'action nous délivre de la mort". C'est là où l'identification à un "éco-témoin" voire à un "grand éco-témoin" est incontournable. Je cite souvent à mes patients éco-anxieux l'exemple édifiant de Felix Finkbeiner, qui a été présenté par C. Dion dans son dernier documentaire. Félix, quand il avait 9 ans à l'orée des années 2010, avait été traumatisé par cet écostress gigantesque qu'est la déforestation de la forêt amazonienne qui avait réactivé son angoisse de finitude : comment bien respirer et donc vivre à terme dans un monde qui s'appauvrit en oxygène si on détruit ce poumon vert ?... Il avait confié à son enseignant que quand il serait grand, il planterait 1 milliard d'arbre pour compenser cette destruction. Loin de se moquer de lui, son enseignant l'a pris au mot et lui a fait planter son 1er arbre dans la cour de son école, aidé par ses camarades de classe. Cela a été une révélation pour Félix. Aidé par ses parents, il a créé une ONG pour planter des arbres. Dans le documentaire de C. Dion, on le voit à l'âge de 13 ans présenter à l'ONU ses projets, pour obtenir des moyens de démultiplication de son ONG. Felix a compris qu'il est nécessaire d'aligner les rayons d'action individuel, collectif et sociétal pour démultiplier la force de frappe d'un écoprojet. Ainsi, en 2020, il avait planté 14 milliards d'arbres ! Il a donc dépassé son objectif de 14 fois en à peine une décennie. En ayant accru sa confiance en soi et son estime de soi, Félix a donc corrigé son objectif existentiel personnel qui parait incroyable pour le quidam moyen : planter 1000 milliards d'arbres d'ici la fin de sa vie! Chaque éco-anxieux n'a pas vocation à devenir un Félix Finkbeiner, mais ce qui parait impossible pour certains est possible pour d'autres, pourquoi pas soi ?... Des petites choses, mises bout à bout peuvent faire de grandes choses. Je me souviens d'une patiente à qui j'avais raconté cette histoire qui se sentait pitoyable car elle ne faisait que trop peu d'écogestes qu'elle minimisait. Sa plus grande réalisation était qu'elle "économisait" chaque matin l'eau froide de sa douche avant qu'elle ne devienne chaude, ce qui ne représentait que 5 litres d'eau qu'elle utilisait pour arroser ses plantes. Elle avait honte de ne faire que cette si petite action pour l'environnement. Pendant que je l'écoutais, j'ai fait un rapide calcul mental et lui ai demandé si elle savait combien cela faisait par an. 1,8 tonne d'eau par an économisée ! Elle était toute étonnée que cela fasse autant... La représentation de sa contribution en a été complètement bouleversée et l'a mise en chemin vers son écoprojet, économiser l'eau via une ONG spécialisée sur la question. Ce qui compte, ce n'est pas d'avoir le "plus gros" écoprojet, mais c'est de s'y mettre, de passer à l'action, quelle que soit l'action, pour retrouver la paix intérieure et l'efficacité extérieure optimale, selon ses ressources et compétences personnelles, au service du plus grand que soi qu'est la nature.






L’Observatoire du Positif : Le site eco-anxieux.fr indique que "les mauvaises nouvelles relatives au climat ou à l'environnement sont à la genèse de l'éco-anxiété". Il conseille en conséquence de contrebalancer l'"infobésité écologique" par "des nouvelles positives" en prenant "le temps de rechercher des informations positives, des réalisations qui donnent de l'espoir, des témoins qui ont réussi à passer à l'action et à montrer la voie de la transition, au niveau sociétal, mais aussi dans votre entourage proche". Le fait de contrebalancer les infos négatives par des infos positives est-il validé scientifiquement ? En outre, comment faire concrètement, d'autant que ces informations positives semblent être moins facilement accessibles que les "mauvaises nouvelles" et que notre cerveau, tout comme les algorithmes, ne nous y encouragent pas nécessairement ?


Pierre-Eric SUTTER : Oui, cela a été prouvé scientifiquement, notamment par la recherche en psychologie positive et même antérieurement, par Claude Bernard, père de l'homéostasie. On peut même encore remonter plus loin dans la façon dont les anciens comme les Egyptiens ou les Grecs contemplaient la nature pour en comprendre les lois et s'harmoniser avec elles. Tout dans la nature est équilibre, nous l'avons oublié avec les excès de nos sociétés thermo-industrielles qui visent le rendement à court terme et oublient le long terme. Ponctionner excessivement dans les ressources pour le présent sans penser au futur c'est déséquilibrer cette harmonie naturelle et c'est menacer les conditions de notre existence. C'est ce que montre aussi le principe d'homéostasie. Si vous ignorez les signaux de votre corps quand il fait - 5°C en hiver et que vous êtes en maillot de bain, vous allez tomber malade si vous restez dehors trop longtemps. En psychologie, l'homéostasie fonctionne de la même manière, comme les 2 plateaux d'une même balance. Si vous ne contrebalancez pas le plateau des mauvaises nouvelles par un plateau équivalent de bonnes nouvelles, vous glissez vers le mal-être, en vous focalisant sur ces mauvaises nouvelles et en les ressassant. De plus le cerveau est "programmé" pour surfocaliser 2,7 fois plus une sollicitation négative. C'est dû à ce que l'on appelle vulgairement l'instinct de conservation, régi par la mécanique du stress, étudiée depuis près d'un siècle en physiologie et depuis près d'un demi-siècle en psychologie. Les mauvaises nouvelles de l'environnement comme le dérèglement climatique sont des stresseurs inédits et gigantesques pour lesquels l'organisme n'a pas de réponse appropriée. On ne peut pas fuir le danger que représentent tous ces enjeux environnementaux (il n'y a pas de "plan-ète B" comme le disent les slogans écolos, on ne peut pas fuir la Terre et aller sur Mars respirer un meilleur air, quoi qu'en disent Elon Musk ou Jeff Bezos), ni avoir la ressource pour le combattre avec ses petits bras musclés, comme je le disais plus haut pour la banquise. Il y a tout un travail de recalibrage à effectuer pour à la fois se focaliser sur des enjeux accessibles et maîtrisables et des ressources mobilisables.



L’Observatoire du Positif : Vous dirigez aussi l'Observatoire des vécus du collapse (OBVECO) en définissant le collapse comme un effondrement en cours ou à venir et vous êtes le co-auteur d'un ouvrage intitulé N'ayez pas peur du collapse. Comment ne pas avoir peur de l'effondrement, d'autant qu'au vu de l'actualité récente, cette peur de l'effondrement ne semble pas concerner uniquement le climat et la biodiversité ?


Pierre-Eric SUTTER : Bien sûr qu'il est normal d'avoir peur du collapse - ou plutôt des effondrements en cours. Ce que Loïc Steffan et moi avons voulu dire dans cet ouvrage, c'est que le "big collapse", l'effondrement des effondrements, n'était pas pour demain quand bien même il était en cours mais que surtout, il était possible 1/ de passer de la peur de la mort à la mort de la peur en passant par 2/ une peur qui immobilise ou démobilise à une peur qui mobilise ou remobilise, justement en traitant les écostresseurs qui nous terrifient. De plus, une espérance est possible car le futur n'est pas encore écrit, comme le prétendent certains collapsologues trop pessimistes. La nature comme l'humain ont encore des ressources qui quand elles se combinent, démultiplient les possibilités de résilience. J'en veux pour preuve l'exemple fameux de la ferme du Bec Hellouin: en organisant les jardins et cultures en harmonie avec les lois de la nature et non pas en leur dépit, l'être humain peut obtenir des résultats de rendement époustouflants et non-mortifères pour l'environnement; c'est ainsi que la permaculture produit des rendement 30 fois supérieurs à l'agriculture intensive. Bien sûr, le modèle de la permaculture reste à faire ses preuves à grande échelle mais il fonctionne ! Et il y a bien d'autres exemples qui montrent qu'une espérance et possible pour éviter d'être dans les prophéties autoréalisatrices des pessimistes qui, à part dire que tout est foutu, ne font rien et contribuent à la désespérance qu'engendre l'inaction.





L’Observatoire du Positif : Pour terminer, si vous deviez donner trois raisons d'être optimiste en 2023, quelles seraient-elles ?


Pierre-Eric SUTTER : 1/ Les éco-anxieux d'aujourd'hui sont pour moi les éco-ambassadeurs de demain. Plus ils seront nombreux, plus vite la prise de conscience écologique, l'écométanoïa sera forte dans la majorité passive grâce au modèle d'action qu'ils représenteront avec leur écoprojet. Les psychosociologues savent que, quand la minorité active atteint 10% de la population, leurs idées et valeurs passent dans la majorité passive. Plus vite les éco-anxieux mettront en œuvre leur écoprojet, comme Felix Finkbeiner, plus rapidement ils seront médiatisés, plus la majorité passive comprendra à quel point il est urgent de changer.


2/ La Convention des entreprises pour le climat (CEC) a été pour moi un moment incroyable: voir toutes ces entreprises s'engager de changer leur core business en intégrant la question environnementale a été vraiment stimulant. Cela montre que les entreprises, qui sont selon le cabinet Carbone 4 66% du problème, quand elles basculent et font leur écométanoïa, peuvent être 66% de la solution. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais je pense que nous sommes comme il y a 25/30 ans quand le numérique est apparu dans les entreprises: tout le monde regardait "ce machin" avec circonspection, se demandant s'il fallait y aller. Aujourd'hui, aucune entreprise ne s'en passe. Je fais le pari que dans moins d'une décennie l'écologie sera au cœur du business des entreprises, d'autant que les normes européennes et réglementaires vont de plus en plus dans le bon sens.


3/ La résilience de mes patients éco-anxieux, une fois le processus d'accompagnement psychothérapeutique terminé. Même s'ils sont toujours un peu inquiets pour l'avenir - et à raison -, ils savent qu'ils peuvent développer leur propre résilience et faire face aux catastrophes qui vont arriver. C'est un peu comme pour le désert : si vous voulez traverser ses 5 000 km de large sans avoir la carte des oasis, je ne donne pas cher de votre peau. En revanche, si vous vous préparez en vous entrainant, en vous équipant correctement et en prenant soin de repérer préalablement les oasis et de vous guider avec la bonne carte, vous pourrez le traverser et arriver à bon port de l'autre côté. Des expériences comme celles de monepi.fr sont intéressantes à étudier pour voir que des îlots de résilience sont en train d'émerger un peu partout en France, comme autant d'oasis dans le désert de l'avenir...




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