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Climat : quelles solutions quand notre cerveau nous empêche d’agir ?

Arte a diffusé le 12 mars 2022 un passionnant documentaire intitulé "Climat : mon cerveau fait l’autruche", réalisé par Raphaël Hitier et Sylvie Deleule sur une idée originale d’Olivier de Schutter et de Nicolas Sayde. Celui-ci était consacré aux mécanismes de notre cerveau qui nous empêchent d’agir face à la menace climatique et peut même nous inciter à "mettre la tête dans le sable". On peut le revoir en replay jusqu’au 10 mai 2022 à l’adresse suivante : https://www.arte.tv/fr/videos/098858-000-A/climat-mon-cerveau-fait-l-autruche/.


Malgré les alertes répétées des scientifiques depuis des décennies, et la prise de conscience croissante de l’impact de l’évolution du climat et du "rôle de notre comportement quotidien dans le dérèglement climatique", nous avons bien de mal à faire évoluer nos modes de vie.



Quand notre cerveau nous empêche d'agir

Plusieurs explications sont fournies par les différents chercheurs interrogés dans ce documentaire.


(1) Un certain nombre de biais cognitifs suscités par le réchauffement climatique nous empêchent d’agir : "Des phénomènes de distorsion de la réalité inconscients qui trompent notre cerveau dans les situations incertaines et angoissantes".


A commencer par le biais d’optimisme. Les expériences menées depuis les travaux pionniers de Neil Weinstein dans les années 1980 montrent que la majorité des sujets pensent qu’ils bénéficieront davantage que les autres des événements heureux et qu’ils subiront moins que les autres les accidents de la vie, ce qui est statistiquement impossible. Il y a donc un biais qui concerne 80 à 90 % de la population d’après Andreas Kappes (Université de Londres). En ce qui concerne le changement climatique, ce biais nous incite à penser que nous serons bien moins affectés que les autres par son impact. Pour Tali Sharot (University College de Londres), le biais d’optimisme est, en effet, favorisé lorsque l’incertitude est très élevée.


On peut mentionner aussi d’autres biais comme le "décalage temporel entre les causes et les effets" (Albert Moukheiber) ou "notre difficulté à évaluer correctement les menaces lointaines".


(2) Les cadres cognitifs, à savoir "les représentations, les visions du monde avec lesquelles on vit depuis très longtemps" (Dominique Meda, Université de Paris Dauphine). En l’occurrence "l’idée que l’humain est supérieur à la nature et que la nature doit être transformée à notre avantage" et que "jusqu’à maintenant, le progrès technologique nous a toujours permis de nous tirer de mauvais pas, nous a permis de traiter de grandes maladies, de grandes pandémies".


(3) Les biais de confirmation qui concernent en particulier les climatosceptiques à partir du moment où notre cerveau tend à accorder une grande attention aux informations (que celles-ci soient vraies ou fausses) qui renforcent nos convictions et à ignorer celles qui les contrarient. Comme le dit Tali Sharot, "Sans le savoir, nous pratiquons tous ce tri sélectif. Les informations qui renforcent nos convictions sont traitées avec la plus grande attention. Celles qui bousculent nos croyances passent à la poubelle". Andreas Kappes rappelle à ce propos qu’"il y a 40 à 50 années de recherche qui montrent que ce biais de confirmation joue un rôle dans presque tous les domaines importants de notre vie". Cela explique ainsi les difficultés que nous avons à changer d’opinion (ou à faire évoluer les positions) et permet de comprendre la polarisation des opinions. Cette situation est bien évidemment renforcée par internet.


(4) Le rôle d’internet : Comme le dit Stephan Lewandowsky (Université de Bristol), "les gens s’accrochent à une croyance s’ils pensent qu’elle est partagée par d’autres. Si je pense que tout le monde pense que la terre est plate, alors vous ne pouvez pas me convaincre du contraire car je peux répondre : tous mes amis sont d’accord avec moi. C’est ce que rend possible internet" car "sur internet, on peut [toujours] trouver quelqu’un qui a le même avis que nous".


En outre, une étude menée sur les commentaires critiques postés sur les études scientifiques officielles et rigoureuses a montré que ceux-ci contribuent à décrédibiliser les informations publiées. Pour Stephan Lewandowsky, "lorsque les gens sont exposés à ce genre de commentaires, ils ont la fausse impression que tout le monde nie le changement climatique. Cela modifie alors leur opinion". Il faut aussi tenir compte de l’impact de la désinformation sur la question du changement climatique.


(5) L’effet spectateur (ou diffusion de la responsabilité) : nos décisions sur les enjeux climatiques sont influencées par les réactions des autres et les attentes que l’on a vis-à-vis des autres autour de nous.


Les expériences montrent ainsi que, dans une situation où, par exemple, quelqu’un jette un détritus dans un espace vert, "Plus les gens susceptibles d’intervenir sont nombreux, plus on se sent autorisé à ne rien faire car les autres peuvent agir à notre place". Pour Peggy Chekroun (Université Paris Nanterre), "quand on est dans une situation où les indices ne sont pas très clairs, où on n’est pas vraiment sûr que ce soit de notre ressort d’intervenir, la première chose que l’on va faire, c’est de regarder la réaction des autres. Chacun interprétant la situation de la même manière en regardant les autres, personne ne fait rien. C’est ce qui explique le délai plus long d’intervention lorsque les gens sont plus nombreux". On va donc avoir tendance à attendre de voir ce que les autres font pour adopter des comportements plus vertueux en matière environnementale. Or, "L’inertie des autres vient inhiber notre propre envie de changer".


(6) Le manque de connaissances des individus sur l’impact environnemental de leurs actes quotidiens. Une expérience menée en Suisse, qui a consisté à demander à des individus de composer une assiette en pensant à l’environnement, indique que nombre d’entre eux ne sont pas conscients de l’impact de leur alimentation sur le climat, notamment de la viande. Cela signifie qu’il est important de transmettre de bonnes informations, même si c’est loin d’être suffisant.


(7) La comparaison sociale. Nos comportements quotidiens d'achat sont d'abord motivés par des "habitudes inconscientes" (Lorraine Whitmarch, Université de Bath). Ils ne sont pas le résultat d’"un questionnement qui pèse le pour et le contre concernant l’impact de ces produits sur l’environnement".


Or, des études ont bien montré l’importance de la comparaison sociale dans les habitudes de consommation, d'autant que l’achat d’un produit est aussi un "marqueur de notre statut social". Ainsi, si recevoir de l’argent active le circuit de la récompense dans le cerveau, c’est encore plus le cas si le gain obtenu est supérieur à celui des autres. En définitive, "c’est plus satisfaisant de gagner plus que l’autre que de gagner la même chose tout seul. Le fait de savoir qu’on a plus que les autres c’est une source de plaisir, c’est quelque chose qui va directement activer ces aires cérébrales du système de récompense" (Nadège Bault, Université de Plymouth).


Cette tendance va être bien évidemment exacerbée par les réseaux sociaux car "au lieu de se comparer seulement avec notre voisin et notre collègue, on va pouvoir se comparer à un réseau très étendu de personnes, donc cela va créer de l’envie" (Nadège Bault)



Quelles solutions ?

Alors quelles sont les solutions pour mieux informer les individus et les inciter à faire évoluer leurs habitudes au quotidien ?


1ère solution avancée, il faut "s’attaquer aux habitudes quand elles sont fragilisées" (Lorraine Whitmarch) comme on a pu le voir lors de la pandémie de Covid-19 en ciblant les personnes au "moment charnière de leur vie" (maternité, déménagement, changement de travail). C’est le bon moment pour faire évoluer leur comportement car elles sont alors ouvertes "à faire autrement".


2e solution, le nudging ou le "coup de pouce": il s’agit d’une incitation douce à faire évoluer les comportements en faisant notamment appel à l’émotion (y compris à la comparaison sociale, mais cette fois pour des pratiques vertueuses). C’est "une méthode pour aider, voire pour pousser le consommateur à faire des choix positifs et pour l’influencer afin de l’amener dans la direction souhaitée" (Bernadette Sütterlin, Université des sciences appliquées de Zurich). Cette technique est efficace et ne braque pas l’opinion, mais elle ne contribue cependant à modifier les comportements qu’à la marge (ex. diminution de la consommation d’eau chaude).


3e solution, il est donc nécessaire d’envisager "un changement profond des politiques publiques et du fonctionnement de notre société". Conclusion, "piégés par nos habitudes de pensée, il nous faut apprendre à mieux connaître notre cerveau, refuser ses mauvais réflexes et dissiper les illusions qu’il fabrique pour enfin regarder la réalité en face et faire les choix personnels qui s’imposent".


Quels sont les choix personnels qui s’imposent ?


Une étude réalisée par des chercheurs anglais de l'université de Leeds en collaboration avec des experts de la société d'ingénierie mondiale Arup et le C40 Cities Climate Leadership Group et rendue publique en mars 2022 peut sans doute nous aider à ce propos puisqu’elle a identifié les six éco-gestes qui, s’ils sont appliqués par tous, peuvent limiter d’un quart les émissions de CO2.


Ces six éco-gestes sont les suivants :

(1) Se limiter à un vol court-courrier tous les trois ans et à un vol long-courrier tous les huit ans

(2) Acheter seulement trois nouveaux vêtements par an

(3) Passer à une alimentation essentiellement végétale, avec des portions saines et en limitant le gaspillage

(4) Conserver ses objets électriques pendant au moins sept ans

(5) Se débarrasser de son véhicule personnel si possible. Et si ce n'est pas le cas, conserver son véhicule actuel plus longtemps

(6) Effectuer au moins un changement dans sa vie pour faire bouger le système, comme passer à l'énergie verte ou isoler sa maison


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