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La paix : protégeons notre bien le plus précieux !



L’objectif de L’Observatoire du Positif, en diffusant des informations et des analyses positives et en incitant à avoir un regard plus positif sur la réalité, est d’aider, dans la mesure du possible et à son niveau très modeste, à traverser la période de grands bouleversements et de grands basculements que l’on vit ces dernières années, tant à un échelon collectif qu’à une échelle plus individuelle. La guerre au Proche-Orient suite à l’attaque terroriste menée par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023 fait partie à l’évidence de ces grands bouleversements, et le fera sans aucun doute encore dans les semaines et les mois à venir, dans un contexte déjà marqué par la guerre en Ukraine et par la récente capitulation militaire des Arméniens du Haut-Karabakh qui se traduit par un véritable nettoyage ethnique en Azerbaïdjan.


L’Observatoire du Positif part, en effet, du postulat selon lequel il est absolument indispensable de conserver une vision qui soit à la fois réaliste et positive – Jacques Lecomte parle à ce propos d’"optiréalisme" – pour que l’on soit en mesure de pouvoir faire face aux immenses défis qui se présentent à nous, sans déni, ni défaitisme.


Deux de ces plus grands défis sont à coup sûr la préservation indispensable de la paix et de la démocratie. N’oublions pas, par exemple, que derrière les craintes suscitées par les effets du dérèglement climatique, il y a en particulier la peur de la violence, voire de la guerre, et celle de la dictature, quelle que soit sa couleur – noire, rouge ou verte – qui pourraient être favorisées par une lutte féroce pour un accès à certaines ressources vitales devenues plus rares et par les conséquences des déplacements massifs de populations dans le monde.


Or, cette tâche de préserver la paix et la démocratie paraît être de plus en plus compliquée, alors même qu’une partie de la population en France, au regard des résultats de différentes enquêtes d’opinion, ne croit plus nécessairement que la démocratie est le meilleur des régimes politiques et/ou estime que la radicalité et la violence sont nécessaires si l’on veut que les choses bougent.


En outre, celle-ci demande effort et engagement. Elle ne va pas vraiment (ou plus) de soi. C’est ce que disait Dominique Steiler dans un entretien qu’il nous avait accordé en juillet dernier. Pour lui, la paix est ainsi "un engagement quotidien, chacun à sa place, chacun à son niveau pour faire valoir la paix de deux manières : réduire la violence sans violence et promouvoir l’épanouissement". Elle n’est en aucun cas un angélisme, "elle requiert au contraire un engagement permanent, un discernement profond pour ne pas se laisser embarquer dans nos errements et nos conditionnements". Cela implique par conséquent de "faire effort contre nos penchants négatifs pour mettre en œuvre les attitudes et les structures propices à la paix". L’association Graines de paix parle également d’"un engagement qui se pratique tous les jours dans toutes nos interactions".



Pour une paix positive


La paix ne se réduit pas à l’absence de guerre ou de violence, ce qui est souvent appelé la "paix négative", c’est-à-dire à être une simple période de cessez-le-feu entre deux guerres. Cela va plus loin. L’un des pionniers des études sur la paix (Peace Studies) Johan Galtung parlait ainsi de "paix positive", qu’il définissait comme une situation où prédominent "la coopération, une vie à l’abri de la peur, du besoin et de l’exploitation, la croissance et le développement économiques, l’égalité et la justice, le pluralisme et le dynamisme et où la violence est moindre, mais pas absente" (Theories of peace. A Synthetic Approach to Peace Thinking, 1967).


Il est donc important d’identifier quelles sont les conditions d’une paix durable et d’une harmonie – l’Institute for Economics and Peace parle à ce propos "[des] attitudes, [des] institutions et [des] structures qui créent et favorisent des sociétés pacifiques" –, en cherchant notamment à "déminer le terrain", c’est-à-dire les raisons profondes des tensions et des conflits. Pour Johan Galtung, la paix est une situation dans laquelle quatre besoins humains fondamentaux sont satisfaits – un besoin de survie, de bien-être économique, de liberté et d’identité (ou de sens) – et dans laquelle il existe un "équilibre écologique". L’Institute for Economics and Peace a identifié, de son côté, les "huit piliers d’une paix positive" : (1) un bon fonctionnement des institutions (des services publics de qualité, une stabilité politique, un respect de l’Etat de droit) ; (2) un environnement des affaires sain ; (3) une répartition équitable des ressources ; (4) une acceptation du droit des Autres et une tolérance entre différentes ethnies, religions et groupes socio-économiques au sein d’un pays ; (5) de bonnes relations avec les Etats voisins ; (6) une liberté des flux d’information ; (7) un niveau élevé de capital humain (niveau d’éducation) ; (8) et un faible niveau de corruption.


La paix positive est, par conséquent, "un processus actif qui va au-delà d’une attitude non-violente, qui recherche les moyens qui vont permettre non seulement de résoudre un conflit, mais aussi d’établir des liens et un esprit de respect et d’entente qui soient durables entre parties" (Graines de paix). Cela implique, comme on l’a vu, de s’attaquer aux causes structurelles de la violence et de tenter de les éliminer, mais aussi de promouvoir une "culture de la paix", qui renvoie notamment à l’éducation à la paix dans les écoles, à la volonté de surmonter les différences par le dialogue et la recherche de compromis, et à la prévention et à la résolution pacifique des conflits. L’ONU définit ainsi la culture de la paix comme "L’ensemble des valeurs, des attitudes, des traditions, des comportements et de modes de vie fondés sur le respect de la vie, le rejet de la violence et la promotion et la pratique de la non-violence par l’éducation, le dialogue et la coopération" ("Déclaration et Programme d’action sur une culture de la paix", résolution 53/243, Assemblée générale, 93e session, 1999). Cela signifie que la démocratie, qui contient normalement en son sein des mécanismes institutionnels permettant de réguler pacifiquement les désaccords inhérents à une société ou à une communauté spécifique, est l’une des conditions indispensables à l’instauration d’une paix durable.


Cela implique sans aucun doute de revenir aussi sur un certain nombre de croyances communes, par exemple, sur la soi-disant nature intrinsèquement agressive des humains, le caractère forcément inévitable des conflits, une interprétation assez commune du darwinisme selon laquelle seuls les plus forts seront en mesure de survivre ou bien la thèse du "vernis civilisationnel" d’après laquelle la civilisation laissera rapidement place à la sauvagerie en cas de rupture de la normalité.


Les travaux d’anthropologues et les expériences de psychologie sociale ont néanmoins montré que l’espèce humaine n’est pas intrinsèquement agressive, destructrice et conforme à la vision hobbesienne d’un homme vu comme un loup pour l’homme. Les humains ne sont pas des "singes tueurs". Si, dans une logique de survie de l’espèce, on trouve de la satisfaction dans le fait de manger, de se reproduire et de s’occuper des enfants, ce n’est pas le cas dans le fait de se battre, de tuer d’autres membres de notre espèce ou de faire la guerre. Les anthropologues indiquent également que l’idée que les humains ont toujours fait la guerre est erronée. Celle-ci est plutôt "récente" à l’échelle de l’histoire de l’humanité et date de la révolution agricole (et donc de la fin de la période durant laquelle les humains étaient des nomades vivant de la chasse, de la pêche et de la cueillette). L’anthropologue Douglas P. Fry rappelle ainsi que, dans beaucoup de sociétés humaines, "les conflits sont très rares, ne sont ni valorisés ni encouragés, voire découragés et dans lesquels la violence est considérée comme déviante" (Douglas P. Fry, War, Peace, and Human Nature: The Challenge of Achieving Scientific Objectivity, dans Douglas P. Fry (dir.), War, Peace and Human Nature: The Convergence of Evolutionary and Cultural Views, Oxford University Press, 2013).


Le spécialiste de la psychologie positive Jacques Lecomte explique, de son côté, que "L’être humain est biologiquement prédisposé à la bonté. Je ne dis pas qu’il est programmé ou prédestiné, mais il y a, en tout être humain, une capacité biologique à l’empathie, à l’altruisme, à la coopération, qui est plus profondément enracinée que ses tendances à l’égoïsme et la violence". Il parle, par exemple, d’une expérience menée auprès de bébés qui "remet en cause la vision qu’on a longtemps eue du bébé, qui naîtrait avec des pulsions égoïstes et violentes, et dont l’éducation sociale consisterait à le détourner de ces pulsions…".


La défense et la promotion de la paix ne doit pas pour autant se traduire par la quête systématique d’un apaisement en vue d’éviter la violence et la guerre - ce n’est pas le "lâche soulagement" (Léon Blum) de "l’esprit de Munich" de 1938 - ou par la mise sur un pied d’égalité des différents belligérants à un conflit indépendamment de la responsabilité des uns et des autres dans le déclenchement de celui-ci et des rapports des forces en présence – par exemple entre l’agresseur et l’agressé, comme c’est le cas dans le conflit en Ukraine.




La lutte contre les grands fléaux


Cette préservation de la paix passe néanmoins à coup sûr par la lutte contre un certain nombre de fléaux, qui contribuent à conduire de façon plus ou moins inexorable à la violence, à la favoriser ou bien à l’alimenter sans fin.


- (1) La tentation omniprésente de la loi du Talion – le fameux "œil pour œil, dent pour dent" – visant à faire subir à celui qui nous a offensé un dommage équivalent à celui qu’il a provoqué. C’est "la spirale sans fin de la vengeance", ou de la "vendetta" dans certaines cultures. L'universitaire israélien Uriel Abulof parle ainsi à propos du conflit israélo-palestinien d'un "cercle vicieux que nous connaissons depuis des décennies, fait de violence physique et morale, d'humiliation et de vengeance. C'est un cycle sans fin".


- (2) Une autre spirale mortifère est celle de l’humiliation et de la volonté de revanche des humiliés. Qu’on le veuille ou non, le sentiment de profonde humiliation que peuvent ressentir les dirigeants et la population d’un pays à un moment donné finit très souvent par conduire à une politique "agressive" et, au final, à des conflits, notamment lorsque le pays en question est l’héritier d’une grande civilisation ou a été un vaste empire ou une grande puissance par le passé. L’exemple particulièrement marquant dans l’histoire du XXe siècle a été bien évidemment celui de l’humiliation de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale qui a été instrumentalisée par les nationalistes et surtout par les nazis et qui a conduit à une politique "revancharde" et de fil en aiguille au déclenchement du second conflit mondial. On peut remarquer dans la période contemporaine que la plupart des Etats et des mouvements qui défient, d’une manière ou d’une autre, la prédominance du monde occidental le font sur la base d’un sentiment d’humiliation. C’est le cas de la Russie, de la Chine, de l’Iran, de la Turquie ou encore des mouvements islamistes radicaux, en particulier dans le monde arabo-musulman.


- (3) La préférence pour la radicalité, et même le jusqu’au-boutisme, qu’il soit idéologique et/ou identitaire et pour la voie de la violence de la part de certains dirigeants, de mouvements politiques (ou de mouvements sociaux quelquefois) et d’une partie de la population. Ceci est d’autant plus dangereux lorsque les parties en conflit refusent de reconnaître leur existence réciproque et ne rêvent que d’une chose, l’éradication de l’ennemi. Dans une telle situation d’hystérisation, et de déshumanisation et de démonisation de l’ennemi, il est évident qu’il n’y a aucune place possible pour un quelconque dialogue et un éventuel compromis. En outre, la voix des partisans d’un apaisement et d’un rapprochement est peu audible, et même quelquefois décriée. C’est la situation que l’on peut observer au Proche-Orient entre, d’un côté, le Hamas qui refuse de reconnaître l’Etat d’Israël et aspire à sa destruction et, de l’autre, les gouvernements israéliens qui affirment, à l’instar de Benjamin Netanyahou ces derniers jours, vouloir détruire le Hamas de façon définitive.


- (4) La logique totalement binaire et la pression poussant à devoir choisir de façon impérative un camp dans une situation de polarisation et de tension extrême, voire de conflit : cela ne peut être que "eux" contre "nous". Ainsi que le disait George W. Bush après les attentats du 11 Septembre, "soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes". L’anthropologie et la psychologie sociale nous rappellent à ce propos que les humains sont des animaux sociaux : ils "sont très doués pour former des groupes sociaux" (Pascal Boyer, La Fabrique de l’humanité, Robert Laffont, 2022). En revanche, ils vont prendre systématiquement la défense de leur groupe. En conséquence, les humains sont également "très doués pour opposer les groupes les uns aux autres" : "peu d’espèces consacrent autant d’énergie à s’en prendre à des groupes rivaux – ou à se défendre contre eux". C’est la raison pour laquelle "toutes les populations humaines connaissent conflits et rivalités ethniques".

- (5) La justification de la violence au nom d’une soi-disant "légitime défense" ou bien du principe de "guerre juste" : ce n’est pas (jamais) nous qui sommes violents. En revanche, nous sommes les victimes de cette violence et nous ne faisons que répondre, de façon tout à fait légitime, par de la violence à une forme de violence bien plus grande qui, elle, n’est pas légitime. C’est donc toujours l’Autre, notre ennemi, qui est violent. Nous ne sommes que les pauvres victimes de cette violence. Et si l’on y riposte, c’est dans un cadre que l’on juge totalement légitime. Ce type de raisonnement et d’argumentaire est très souvent repris par des militants qui recourent à des actions de la désobéissance civile (ex. Faucheurs d’OGM), des groupes plus violents, jusqu’aux organisations terroristes, mais aussi par les forces de l’ordre.


- (6) L’idée qui semble monter ces dernières années, notamment en France, selon laquelle la violence paie et qu’elle est le moyen le plus efficace de parvenir à ses fins, en attirant l’attention des médias, en incitant un gouvernement, ou un autre acteur, à réagir, en cherchant à provoquer des réactions au sein de l’opinion publique (que ce soit des réactions d’indignation, de soutien ou bien de peur).


- (7) Le soutien, voire l'identification de populations qui sont éloignées géographiquement d'un conflit à l'un de ses belligérants en fonction de considérations de nature identitaire (soutien apporté à nos "frères" et à nos "sœurs" de sang, de religion…) ou bien idéologique (avec, par exemple, un biais en faveur du plus faible ou bien un biais en faveur du plus fort). Cela peut contribuer à importer un conflit sur un territoire spécifique et souvent à mettre de l’huile sur le feu dans des situations qui peuvent être déjà tendues. Le conflit du Proche-Orient est particulièrement propice à ce type de projections, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des conflits civils en Afrique subsaharienne, par exemple.



La violence, quelle qu’elle soit, est toujours un problème. Elle n’est jamais la solution et elle ne doit jamais être considérée comme telle, si ce n’est en dernier, dernier ressort (comme c’est le cas pour les Ukrainiens par exemple). En définitive, comme l’écrit Dominique Steiler dans Osons la paix économique (de Boeck Supérieur, 2017), "Si la nature de l’homme et ses fondements sont basés sur la coopération et la compassion, […] si l’on observe le fondement et le potentiel humain envers la paix, si les données archéologiques et anthropologiques nous montrent que la compétition est majeure dans la vie des humains, mais que le combat n’est que mineur dans l’histoire et que la guerre n’est que d’apparition tardive, si l’on retient que l’être humain est par nature communicatif, coopératif et bienveillant et par potentiel compétitif et agressif, […] si la paix n’est pas seulement perçue négativement – réduire les conflits -, mais aussi positivement – œuvrer pour elle, si la coopération et la bienveillance améliorent non seulement la santé et le bien-être, mais aussi la performance, si la coopération et la paix n’effacent pas le potentiel humain d’agression, donc aussi de compétition, et la nécessité de régulations relationnelles ou politiques, si l’on observe simplement combien la coopération est chaque jour bien plus importante que la haine et le conflit, si la paix est conçue comme un comportement journalier, une mise en œuvre volontaire et individuelle orientée par des valeurs servant de boussole, alors la guerre devient une anomalie ou une déviation […], alors la paix n’est plus un espace entre-deux-guerres, l’Homme n’est plus enfermé dans une bonté ou une méchanceté immuables et nous pouvons entrevoir l’idée d’un devenir".


Protégeons en conséquence notre bien le plus précieux !

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