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Les chroniques du positif : Comment rester optimiste dans un monde au bord du gouffre



Guerres dévastatrices en Ukraine, à Gaza, au Liban, au Soudan et ailleurs, multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, montée de l’extrémisme politique et des intégrismes religieux un peu partout dans le monde, fléau grandissant de la criminalité organisée autour du trafic de drogue, inquiétudes relatives à l’impact de l’Intelligence artificielle… A l’évidence, la période que l’on est en train de traverser est plus que compliquée. Dans un tel contexte, comment ne pas sombrer, tant individuellement que collectivement, et a fortiori comment rester un tant soit peu optimiste ?


Il y a tout d’abord un certain nombre de postures à éviter :

  • (1) Le déni, qui peut aller jusqu’à l’évitement de toute information divulguée par les médias ou au climatoscepticisme

  • (2) Le rassurisme, c'est-à-dire le biais optimiste amenant à penser que les choses finiront bien par s’arranger

  • (3) La fuite dans le divertissement, au sens strict, comme au sens figuré

  • (4) Le radicalisme, consistant à rechercher "Le" responsable de tous nos problèmes et "La" solution simple pour pouvoir les résoudre

  • (5) Le catastrophisme, à savoir le sentiment que tout est foutu et qu’il n’y a plus rien à faire


Ensuite, il faut sans aucun doute faire évoluer son regard sur la réalité. C’est ce que suggère par exemple quelqu’un comme Max Roser, chercheur à l’université d’Oxford et créateur du site Our World in Data, dans un texte intitulé "The world is awful. The world is much better. The world can be much better". Il propose d’avoir une lecture à la fois réaliste et complexe du monde qui peut être particulièrement utile dans cette période très troublée.


Pour lui, c’est indéniable, le monde est horrible. On ne peut qu’être d’accord avec lui aujourd’hui si l’on est Ukrainien, Gazaoui, Libanais, Arménien du Haut-Karabakh, Soudanais, Congolais du Kivu, Haïtien, Rohingyas, femme afghane… C’est aussi le monde tel qu’il est donné à voir la plupart du temps dans les médias qui s’intéressent d’abord à tout ce qui relève d’une rupture de la normalité.


Mais Max Roser considère également que, par beaucoup d’aspects, le monde va mieux, si l’on s’intéresse à un certain nombre de tendances globales, telles que l’évolution de l’extrême pauvreté, de l’alphabétisation et de l’accès à l’éducation primaire, de l’espérance de vie, de la lutte contre des maladies telles que le VIH-Sida ou le paludisme, des taux de suicide, des accidents de la route, etc.


Enfin, il estime que le monde pourrait aller encore mieux avec de très importantes marges de progression. Des progrès médicaux, des découvertes scientifiques ou des innovations technologiques sont, en effet, autant de sources d’espoir, tout comme différentes expériences réussies, telles que les actions menées pour reconstituer la couche d’ozone ou bien la lutte contre diverses formes de pollutions ou la disparition de telle ou telle espèce animale.


En définitive, comme le disait Antoine de Saint-Exupéry, "Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible".


Pour cela, il apparaît primordial

  • de voir la réalité telle qu’elle dans toute sa complexité 

  • de cultiver un état d’esprit "solutionniste" en partant du postulat selon lequel il doit forcément exister des solutions aux difficultés que nous rencontrons collectivement et aux défis auxquels nous avons à faire face, y compris les plus périlleux d’entre eux comme le dérèglement climatique ou le conflit au Proche-Orient 

  • et de ne pas oublier que le pessimisme tend à favoriser, à titre individuel, un mal-être mental et, à titre collectif, à rogner les fondements mêmes de la démocratie, les extrémismes politiques se nourrissant largement du déclinisme et de différentes formes d’anxiétés, notamment culturelles.


Dans cette période extrêmement troublée, où nombre de nos repères habituels sont remis en cause, il semble important, en effet, d’adopter une vision qui corresponde en grande partie à l’"optimisme pragmatique" ou au paradoxe de James Stockdale, ou à l’"optimisme tragique" de Viktor Frankl, deux personnalités qui ont connu des situations extrêmes et particulièrement éprouvantes et qui ont sans doute survécu grâce à leur vision optimiste spécifique.


James Stockdale (1923-2005) était un militaire américain, qui est resté prisonnier dans un camp de prisonnier au Vietnam pendant huit ans en ayant subi différentes sortes de tortures physiques et mentales. Il s’est aperçu que, paradoxalement, les prisonniers qui craquaient en premier étaient les optimistes car "Ils se disaient : 'On sera sortis d’ici à Noël.' Et Noël arrivait, et Noël s’en allait. Puis ils se disaient : 'On sera sortis à Pâques'. Et Pâques arrivait, et Pâques partait. Et puis Thanksgiving, et puis Noël. Et ils sont morts d’un cœur brisé". Il en conclut que "Vous ne devez jamais confondre la foi en votre victoire finale – que vous ne pouvez jamais vous permettre de perdre – avec la discipline nécessaire pour affronter les faits les plus brutaux de votre réalité actuelle quels qu’ils soient".


Cela correspond à une forme d’optimisme pragmatique, qui s’appuie sur un mélange de réalisme et d’espoir : "Espoir (Savoir que l’on va s’en sortir coûte que coûte) + Réalisme (Affronter la réalité et les dangers tels qu’ils sont)". Le grand spécialiste de l’optimisme Philippe Gabilliet parle à ce propos d’un optimisme de but qui doit s’accompagner d’un pessimisme de chemin : "C’est cet optimisme flexible qui nous permettra tout en restant confiant en la réussite ultime de nos projets, de nous préparer à la lutte, de réfléchir sereinement sur des problèmes éventuels, d’anticiper pour éviter qu’ils ne surviennent, voire de relativiser notre déception en cas d’échec".


Victor Frankl, quant à lui, était un psychiatre autrichien, qui a été prisonnier pendant trois ans dans le camp d’Auschwitz durant la Seconde Guerre mondiale. Il a remarqué qu’à Auschwitz ceux qui mourraient rapidement étaient les pessimistes, mais aussi, comme le faisait remarquer James Stockdale, les optimistes.


Il défend ce qu’il appelle un "optimisme tragique", qui est le fait de rester "optimiste en dépit de la "triade tragique". Cette triade est formée des aspects suivants de l’existence humaine : 1) la souffrance, 2) le sentiment de culpabilité, et 3) la mort". Cela correspond, en définitive, à la quête de sens face aux inévitables tragédies de l’existence humaine, et en particulier face à la souffrance, à la culpabilité et à la mort, et à "la capacité de garder espoir et de trouver un sens à la vie, malgré la douleur, la perte et la souffrance inéluctables". Viktor Frankl est d’ailleurs le créateur de la logothérapie, du grec logos qui se traduit par "signification". Il s’agit d’une forme de thérapie axée sur le sens qu’un individu donne à sa vie.

 


Ce texte est la version longue d’une tribune publiée dans Ouest-France le 23 novembre 2024.

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