Comment avoir une vision des choses qui soit à la fois plus conforme à la réalité et plus positive ?
Si l’on ne fait aucun effort spécifique, on va avoir plutôt tendance à voir celles-ci de façon négative et à être exposé à des informations et à des messages négatifs, par exemple via les médias traditionnels. Cela signifie par conséquent qu’avoir une vision plus positive demande un effort et de la vigilance, ce qui ne va pas nécessairement de soi.
Et pourtant, on sait bien maintenant qu’une trop grande exposition à une information anxiogène, que celle-ci provienne de médias traditionnels, de réseaux sociaux numériques ou même de son environnement personnel, ou bien le doomscrolling (c’est-à-dire le fait de faire défiler sur un écran des informations toutes plus catastrophistes les unes que les autres) peut avoir un impact négatif sur notre santé mentale et même sur notre santé physique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquait ainsi au début de la crise pandémique : "Limitez le visionnage, la lecture ou l’écoute d’informations à propos du COVID-19 qui suscitent de l’anxiété ou de l’angoisse ; consultez uniquement des sources d'information fiables et principalement afin de pouvoir prendre des mesures pratiques pour vous préparer et vous protéger, ainsi que vos proches. Recherchez des informations actualisées à des moments précis de la journée, une ou deux fois par jour. Un flux brusque et ininterrompu d'informations sur une épidémie peut faire naître de l’anxiété ou de l’angoisse. Recherchez les faits ; pas des rumeurs et des fausses informations. Informez-vous à intervalles réguliers, sur le site Web de l’OMS et les plateformes d’information des autorités de santé de votre pays pour vous aider à distinguer les faits des rumeurs. La connaissance des faits peut aider à réduire les peurs".
Parallèlement, différentes études ont montré à quel point une attitude positive et optimiste pouvait avoir de nombreux bienfaits. La professeure britannique de psychologie sociale Fuschia Sirois rappelle ainsi qu’"un certain nombre d’études ont […] suggéré que les optimistes jouissaient de niveaux de bien-être plus élevés, d’un meilleur sommeil, d’un stress moindre, d’une meilleur santé cardio-vasculaire et même d’un meilleur système immunitaire". En outre, elle mentionne qu’"une publication [récente] a montré qu’être optimiste favoriserait également une vie plus longue et en meilleure santé".
Alors, comment avoir une vision plus positive. Cela passe sans aucun doute par les dix étapes suivantes.
(1) Prendre conscience du fait que le négatif est généralement plus fort que le positif
Il convient, en premier lieu, de prendre conscience du "pouvoir du négatif", titre d’un ouvrage publié aux Etats-Unis en 2019, The Power of Bad. How the Negativity Effect Rules Us and How We Can Rule It, et de l’existence d’un "biais de négativité" qui est, d’après le psychologue social américain Roy Baumeister, "l’un des principes psychologiques les plus fondamentaux qui semble être vrai partout. C’est une donnée-clef sur le fonctionnement de l’esprit" (source). Cela a été bien démontré dans deux études scientifiques majeures qui ont été publiées de façon quasi simultanée en 2001 : Roy F. Baumeister, Ellen Bratslavsky, Catrin Finkenauer et Kathleen D. Vohs, "Bad is Stronger than Good", Review of General Psychology, 2001, Vol. 5, N° 4 ; et Paul Rozin et Edward Royzman, "Negativity bias, negativity dominance, and contagion", Personality and Social Psychology Review, vol. 5, 2001.
Les auteurs du premier article remarquent, en effet, que le négatif est de façon quasi systématique plus fort que le positif : "lorsque les bonnes et les mauvaises choses sont présentes en quantité équivalente, le négatif l’emporte toujours sur le positif". On est plus affecté par des événements négatifs que par des événements positifs : par exemple, par le fait de perdre de l’argent plutôt que d’en gagner, d’être abandonné par ses amis plutôt que d’en avoir de nouveaux, ou d’être critiqué plutôt que d’être apprécié. Les relations négatives ont plus d’impact que les relations positives. Les impressions et les stéréotypes négatifs se forment plus rapidement et sont plus résistants aux remises en cause. On est plus sensible à des informations négatives qu’à des informations positives. Les auteurs en concluent que le négatif produit des effets plus importants, plus multiformes et plus durables que le positif. Les chercheurs qui ont rédigé le second article, qui se base sur des sources littéraires, historiques, religieuses et culturelles, ainsi que sur la littérature psychologique, parviennent aux mêmes conclusions : "le principe que nous appelons le biais de négativité, est que, dans la plupart des situations, les événements négatifs sont plus saillants, puissants, dominants, et généralement efficaces que les événements positifs".
Cela signifie qu’à un échelon individuel ou collectif, notre regard tend à se porter spontanément vers ce qui ne va pas, vers ce qui se dégrade ou se détériore, vers les problèmes, les critiques, les manques, les risques, les menaces, les vulnérabilités, les plaintes. Ce n’est pas un problème en soi. C’est même normal, et même sain, d’essayer de voir ce qui ne va pas pour tenter d’améliorer les choses. En revanche, cela devient problématique lorsque cela devient systématique. Cette inclination vers le négatif se transforme alors en une véritable vision du monde, en un négativisme.
(2) Prendre conscience du biais de négativité de notre cerveau et d’autres biais cognitifs
Notre propre cerveau a un biais négatif qui nous rend plus sensible aux mauvaises nouvelles que l’on va mieux retenir parce qu’elles vont provoquer en nous de fortes émotions et du stress. Tout ceci est lié en fait à l’évolution de l’espèce humaine. Le cerveau humain est programmé de la sorte pour des raisons de survie biologique, pour optimiser nos chances de survie en tant qu’individu et en tant qu’espèce. C’est en interprétant différentes informations sur un danger potentiel que les humains ont, en effet, pu échapper à la mort et perpétuer ainsi l’espèce. En revanche, les informations positives sont perçues comme ayant peu d’utilité pour la survie de l’espèce. Pour nos lointains ancêtres, sous-estimer telle ou telle information négative pouvait les conduire à être estropiés ou même à perdre la vie. Sous-estimer telle ou telle information positive n’avait à l’évidence pas la même importance. Ceux-ci étaient beaucoup plus sensibles au risque de mourir qu’à celui de manquer une opportunité.
Notre cerveau tend également à déformer quelque peu notre perception de la réalité via ce que l’on appelle des "biais cognitifs" ou des "distorsions cognitives". Chaque jour, notre cerveau reçoit, en effet, une énorme quantité d’informations. Parallèlement, nous avons besoin d’agir vite, de prendre des décisions dans des situations d’incertitude et d’urgence. Dans la plupart des cas, notre cerveau ne va pas recourir à un raisonnement analytique, mais plutôt à un certain nombre de réflexes automatiques qui peuvent nous induire en erreur. Ce sont les biais cognitifs. Or, nombre d’entre eux vont contribuer à entretenir cette logique de négativité. On peut mentionner, par exemple, le biais de partialité (nos croyances sont souvent plus importantes que nos connaissances) ; le biais de confirmation (qui nous incite à ne rechercher, à ne nous intéresser et à ne prendre en compte que les informations qui vont confirmer et valider notre vision des choses conformément à nos croyances et à nos convictions, et par conséquent à éliminer ou à décrédibiliser celles qui peuvent les remettre en cause) ; le filtre mental (qui consiste à ne voir que les aspects négatifs en minimisant les aspects positifs) ; ou encore l’heuristique de disponibilité (notre tendance à évaluer l’importance d’un sujet donné en fonction de la facilité avec laquelle on peut se le remémorer et à mobiliser sur celui-ci ce qui nous vient spontanément à l’esprit, à savoir des informations récentes, souvent vues dans les médias avec une forte charge émotionnelle, donc la plupart du temps négatives, ce qui nous amène à penser, par exemple, que la voiture est un mode de transport plus sûr que l’avion car on a tous en tête des images de crash aérien).
(3) Prendre conscience de notre "vision dramatique du monde"
Un mélange assez courant d’ignorance (notamment liée à une vision dépassée et non actualisée des choses), de préjugés et de biais pessimiste tend à conduire à ce que Hans Rosling, le célèbre chercheur et conférencier suédois décédé en 2017, qualifiait dans son ouvrage Factfulness de "Vision dramatique du monde" : "Ces dernières décennies, j’ai posé à des milliers de gens, dans le monde entier, des centaines de questions factuelles […] sur la pauvreté et la richesse, l’augmentation de la population, la natalité, la mortalité, l’éducation, la santé, le genre, la violence, l’énergie et l’environnement – aussi bien sur leurs situations globales que sur leurs évolutions". Or, il a remarqué que "la plupart des gens échouent lamentablement", y compris les personnes les plus éduquées. Pour lui, ce qui est en jeu, "Ce n’est pas une question d’intelligence. C’est simplement que les gens ont une vision du monde catastrophiquement fausse. Pas seulement catastrophiquement fausse, en fait, mais systématiquement fausse". La Fondation Gapminder créée par Hans Rosling, s’est d’ailleurs donnée pour mission de "lutter contre une ignorance dévastatrice grâce à une vision du monde fondée sur des faits que tout le monde peut comprendre" en identifiant "les idées fausses systématiques sur les tendances et les proportions globales" et en utilisant "des données fiables pour développer du matériel pédagogique facile à comprendre afin de débarrasser les individus de leurs idées fausses". Elle est ainsi à l’origine du "Gapminder Index Pilot", qui est une "première tentative de création d’un indice pour montrer à quel point les individus se trompent sur les progrès de différents pays en mesurant l’écart entre la perception et les données". Des études ont été ainsi menées sur la santé en 2019, le développement durable en 2020 ou les réfugiés en 2023.
L’enquête Ipsos "The Perils of Perception" vise elle aussi à "explorer l’écart entre les perceptions des gens et la réalité". Dans l’édition 2016, par exemple, les résultats tendent ainsi à indiquer que "nous sommes souvent excessivement pessimistes quant au bonheur des gens et à notre tolérance sur des questions controversées telles que l'homosexualité, les relations sexuelles avant le mariage et l’avortement. Dans de nombreux pays, notamment en Occident, nous avons une image de notre population comme étant trop misérable et intolérante" (source).
Ceci est confirmé par un autre célèbre auteur suédois Johan Norberg dans un ouvrage qui avait pour titre Non ce n’était pas mieux avant. Il explique avoir commandé lui aussi il y a quelques années une étude où huit questions sur le développement mondial étaient posées à 1 000 Suédois. Il a pu observer le même type de résultats que Hans Rosling : "leur ignorance était stupéfiante. En moyenne, tous les groupes d’âge et tous les groupes de revenus avaient faux aux huit questions. Ils pensaient que le monde allait de mal en pis, et ils sous-estimaient systématiquement les progrès accomplis".
Le célèbre psychologue cognitiviste Steven Pinker rappelle à ce propos que "nous sommes parfaitement rationnels dans notre vie réelle […]. Mais l’irrationalité se développe quand il est question d’un monde au-delà de l’expérience immédiate de chacun : l’Histoire, l’avenir inconnu, le cosmique, les couloirs inaccessibles du pouvoir…".
(4) Prendre conscience du biais de négativité de nombreux canaux d’information (médias, réseaux sociaux numériques) et acteurs s’exprimant dans l’espace public
Tout ceci est sans aucun doute lié en grande partie à nos sources d’information. Il n’y a, en effet, pas que notre cerveau qui a un biais de négativité. C’est également le cas des médias traditionnels. Dans leur traitement de l’actualité, la presse et les médias tendent à avoir eux aussi un biais négatif, pour des raisons avant tout de nature commerciale et financière ("la peur fait vendre") – Hans Rosling expliquait à ce propos que "les médias et les activistes ont besoin de drame pour capter notre attention" – ou bien culturelles (on est collectivement habitués à ce que les médias traitent des trains qui n’arrivent pas à l’heure). Deux expressions en anglais résument bien cette approche spécifique des médias consistant à privilégier les informations le plus souvent négatives : "Good news is no news" (Les bonnes nouvelles ne sont pas des nouvelles, Marshall MacLuhan) et "If it bleeds, it leads" (si ça saigne, c’est en "Une").
Future Crunch, un site web qui recense les informations positives, a rapporté l’expérience suivante réalisée en août 2023. Le 7 août, il a repris les titres des 10 plus gros sites web d’informations dans le monde (totalisant à eux seuls plus de 5 milliards de visites chaque mois) en excluant volontairement tout ce qui a trait au changement climatique, à la guerre en Ukraine, au sport, à la politique ou aux célébrités. Conclusion de cette expérience : "Les news sont censées nous informer de ce qui se passe dans le monde. Ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, grâce à une combinaison de pressions commerciales, de biais cognitifs et d’habitudes culturelles, les organes de presse sont devenus des machines modernes du malheur (Modern-day doom machines), présentant le pire absolu de l’humanité. Il n’y a même pas de prétention à une approche équilibrée. C'est pourquoi nous pensons que le plus gros problème du journalisme aujourd’hui n'est pas les fake news, ou les bulles de filtres, ou la polarisation, ou l’élitisme, ou l’obsession permanente du site Web anciennement connu sous le nom de Twitter. Le plus gros problème, ce sont les mauvaises nouvelles".
Max Roser, le créateur du site Our World in Data, établit un constat assez similaire dans un article publié sur ce site en juillet dernier. Pour lui, "Les news se concentrent sur des personnes exceptionnellement puissantes ou sur celles qui ont vécu des tragédies inhabituelles. Mais alors qu’elles mettent en lumière ces quelques personnes, elles laissent la majeure partie du monde dans l’obscurité". Il en conclut que "Le problème n’est pas tant ce que les médias couvrent que ce qu’ils ne couvrent pas. Ceux qui sont laissés dans l’obscurité sont souvent pauvres et impuissants et géographiquement éloignés de nous. Ce que nous voyons dans les news n’est pas suffisant pour comprendre le monde dans lequel nous vivons". Hans Rosling expliquait lui aussi qu’"Il est facile d’être au courant de toutes les choses qui vont mal dans le monde. Il est plus difficile, en revanche, d’être conscient de ce qui va bien : des milliards de progrès passent inaperçus. […] Je parle de progrès fondamentaux, qui sont en train de changer le monde, mais sont trop lents, trop fragmentés, ou trop petits pris un par un pour passer aux informations. Je parle du miracle secret et silencieux du progrès humain".
Contrairement à une idée reçue, les médias ne sont, en effet, pas de simples médiateurs neutres entre, d’un côté, des informations, et, de l’autre, un public qui cherche à s’informer. Ils ne font pas que rapporter de façon froide les faits tels qu’ils se produisent, quels qu’ils soient. Ils tendent à s’intéresser avant tout à ce qui est extra-ordinaire, au sens strict, et donc la plupart du temps à tout ce qui relève d’une rupture de la normalité un jour donné, à la vie des personnes puissantes (dirigeants politiques, décideurs économiques, artistes, sportifs, etc.), à la situation de personnes qui ont vécu des tragédies inhabituelles (de faits divers tragiques aux grandes catastrophes) ou encore à des groupes ou à des minorités qui disposent des ressources leur permettant de pouvoir s’exprimer dans les médias. Cela signifie que ce que nous voyons dans les médias ne nous permet pas réellement de comprendre le monde dans lequel nous vivons, même si, il faut aussi le reconnaître, cela correspond aussi semble-t-il à une attente du public. Une étude récente montre ainsi que la "négativité stimule la consommation d’informations en ligne" : "les termes négatifs dans les titres des journaux augmentent les taux de consommation (et les termes positifs réduisent les taux de consommation). Pour un titre de longueur moyenne, chaque terme négatif supplémentaire augmente le taux de clics de 2,3%".
Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes pas moins exposés chaque jour à une forme de bombardement d’informations anxiogènes qui nous renvoient toutes plus ou moins le même message : voici comment nous sommes susceptibles de mourir, soit de façon brutale et violente (ex. attentat terroriste ou violence "ordinaire"), soit à petit feu de façon insidieuse (ex. cancer).
Même si les réseaux sociaux numériques permettent souvent de partager des informations positives, il est néanmoins évident qu’une information négative (ou qu’une posture d’indignation, un réseau social tel que Twitter-X étant en grande partie la chambre d’écho de toutes les indignations du monde) y aura beaucoup plus d’impact qu’une information positive. Une étude publiée en 2021 a, par exemple, indiqué que "Les informations négatives se propagent davantage sur le réseau Twitter actuel que les informations positives" : elles attirent davantage l’attention et elles sont plus partagées. Une étude parue en 2018 avait déjà montré que "sur Twitter, les fausses nouvelles circulent plus vite que les histoires vraies". L’un de ses auteurs explique ainsi que "nous avons constaté que le mensonge se diffuse beaucoup plus loin, plus rapidement, plus profondément et plus largement que la vérité, dans toutes les catégories d’informations".
Enfin, on peut remarquer qu’un grand nombre de personnes qui s’expriment dans l’espace public (médias, réseaux sociaux, édition…) souffrent elles aussi d’un biais de négativité. Pour des raisons de nature idéologique, politique ou bien stratégique, beaucoup d’acteurs mettent systématiquement l’accent sur ce qui ne va pas, sur ce qui se dégrade et sur la catastrophe qui nous attend (… si l’on ne répond pas à leurs souhaits ou à leurs revendications). C’est le cas des syndicats (de salariés ou d’employeurs), des partis politiques d’opposition, des ONG et des associations, des lanceurs d’alerte, etc. Beaucoup d’organisations de la société civile et de médias ont également tendance à chercher à prendre le public à témoin d’un scandale. On peut y rajouter les différents adeptes de courants de pensée radicale – populistes, extrémistes de tous poils, intégristes et autres complotistes – qui cherchent la plupart du temps à véhiculer une vision de nature catastrophiste. Enfin, y figurent des essayistes déclinologues, collapsologues ou néomalthusiens à succès, des consultants ou encore des économistes. Ces différents acteurs peuvent avoir la tentation de recourir à ce que l’on appelle souvent la "pédagogie de la catastrophe" en vue d'alerter opinion et décideurs et d'éveiller ainsi les consciences. Cette vision a d’ailleurs été théorisée par le philosophe allemand Hans Jonas dans Pour une éthique du futur (Rivages, 1998), via ce qu’il appelle l’"heuristique de la peur" et par le politologue Jean-Pierre Dupuy dans Pour un catastrophisme éclaire. Quand l’impossible est certain (Seuil, 2004).
(5) Prendre conscience de la tendance à dévaloriser les discours positifs
Parallèlement, il faut aussi se rendre compte du fait que l’on peut avoir tendance à se méfier des discours positifs et a fortiori des acteurs qui les véhiculent dans l’espace public. Cela concerne en premier lieu la nature de ce message. On peut ainsi considérer que les messages positifs sont naïfs, alors que pessimisme et réalisme, voire pessimisme et intelligence sont communément associés. On peut lui reprocher aussi d’être "hors sol", en refusant de voir la (triste) réalité. Cette méfiance peut aussi viser l’émetteur de ce type de discours qui apparaît souvent suspicieux. Il peut être perçu comme quelqu’un qui a un intérêt à exprimer une telle vision des choses parce qu’il est du "bon côté" – c’est le point de vue d’un privilégié dans sa "bulle dorée" – et/ou parce qu’il a quelque chose à nous vendre – un livre, une formation, un programme électoral, un produit ou un service, etc. En outre, les organisations qui diffusent des messages positifs sont aussi celles qui sont le plus susceptibles d’être l’objet a minima d’une forme de méfiance : gouvernement, partis de la majorité, grandes entreprises, institutions européennes ou internationales… Enfin, pour certains, cette positivité n’est pas seulement suspicieuse, elle peut même être toxique en conduisant à refouler les émotions négatives et donc en définitive à les renforcer.
(6) Consommer prudemment les informations et voir aussi ce qui va bien ou mieux
Il convient, par conséquent, de faire preuve d’une grande prudence dans notre consommation d’informations, notamment en provenance des médias. Cela ne doit pas se traduire pour autant par une stratégie d’évitement vis-à-vis des médias d’information comme semble l’avoir fait une partie notable de la population, du moins si l’on s’en tient aux résultats des dernières éditions du Digital News Report, une enquête annuelle publiée par le Reuters Institute. La consommation de l’information doit se faire plutôt avec modération, en particulier durant les périodes de crises aiguës (comme ce fut le cas au début de la crise de la Covid-19 ou de la guerre en Ukraine), en prévoyant des pauses et une "diète médiatique" de temps en temps. La journaliste Anne-Sophie Novel parle à ce propos de "detox informationnelle" et de "jeûne médiatique" dans son livre Les Médias, le monde et nous.
L’autre clef est de tenter de rééquilibrer autant que possible informations négatives et informations positives. C’est ce que conseillait l’OMS au début du confinement en 2020 : "Identifiez les occasions de partager et de valoriser les récits positifs et porteurs d’espoir et les images positives de personnes qui ont été touchées par le COVID-19 autour de vous. Par exemple, les histoires de personnes qui sont guéries ou qui ont soutenu un proche et souhaitent partager leur expérience". Une étude publiée en octobre 2021 dans la revue PLoS ONE sur l’exposition aux informations anxiogènes durant la pandémie de Covid-19 conclut qu’"Une stratégie à laquelle les individus pourraient recourir serait d'essayer de contrebalancer le négatif en l'équilibrant avec des informations positives". Il semble en être de même en ce qui concerne les informations relatives au dérèglement climatique. Le site eco-anxieux.fr, qui considère que "les mauvaises nouvelles relatives au climat ou à l’environnement sont à la genèse de l’éco-anxiété", conseille ainsi de contrebalancer l’"infobésité écologique" par "des nouvelles positives" en prenant "le temps de rechercher des informations positives, des réalisations qui donnent de l’espoir, des témoins qui ont réussi à passer à l’action et à montrer la voie de la transition, au niveau sociétal, mais aussi dans votre entourage proche".
Cela implique par conséquent d’identifier des sources d’informations positives et donc, au préalable, de revenir sur trois grandes idées reçues. (1) Les médias diffusent des informations négatives car ils ne font que rapporter des faits qui sont, la plupart du temps, négatifs (conflits, tensions, violences, accidents, catastrophes, faits divers, délinquance, scandales, etc.) à partir du moment où il existe peu de faits positifs. (2) Ces faits positifs, s’il y en a, relèvent principalement des rubriques "divertissement" ou "insolite", et donc pas de l'information générale "sérieuse". En clair, ils sont plutôt anecdotiques. (3) Il n’existe pas de journaux, médias ou sites web spécialisés dans le traitement des informations positives.
En réalité, les informations positives sont nombreuses, mais si elles sont peu visibles, en tout cas bien moins visibles que les informations négatives. Les sources d’informations positives sont elles aussi nombreuses : L’Observatoire du positif en a identifié quelque 150, avec des sources en français et en anglais.
En fait, l’information positive est abondante, si l’on fait un peu l’effort de la chercher ou même d’y prêter attention. Il y a tout d'abord des médias pure players, qui diffusent de l'information positive, à l’instar du Média positif ou de POSITIVR. Les médias traditionnels peuvent avoir des rubriques d'infos positives. Il existe aussi un journalisme de solutions, qui n’est pas pour autant un journalisme de bonnes nouvelles. C’est un journalisme qui, dans son traitement de l’information, ne s’en tient pas seulement aux constats, et par conséquent la plupart du temps aux problèmes, mais aborde aussi les solutions, que celles-ci soient mises en œuvre ou non, qu’elles soient un succès ou pas.
Au-delà des médias, on peut aussi se référer aux travaux de ceux que le Guardian a qualifié de "nouveaux optimistes" en 2017, à savoir des auteurs qui ont publié des ouvrages à succès en défendant une vision positive du monde, à l’instar de Steven Pinker, Matt Ridley, Johan Norberg ou Hans Rosling. En France, Jacques Lecomte, auteur du livre Le Monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! (2017), peut aussi être classé dans cette catégorie.
Enfin, il paraît primordial de s’appuyer sur des sources d’inspirations positives, à savoir des initiatives ou bien des personnalités "inspirantes", notamment compte tenu de leur courage, de leur détermination, de leur sagesse, de leur optimisme, de leur bienveillance, de leur inventivité ou de leur créativité. On peut identifier trois types de profils inspirants : (1) les résilients, qui sont des individus victimes d’accidents de la vie ou de circonstances particulièrement dramatiques et qui, malgré ces grandes difficultés, ont réussi à s’en sortir en conservant un esprit positif ; (2) les visionnaires ou les explorateurs, qui ont créé, inventé, été des pionniers ou des innovateurs dans leur domaine et qui ont amené les autres – les "suiveurs" – à changer de regard ou d’attitude, mais aussi à bénéficier de ce qu’ils ont inventé ou créé ; (3) les messagers, qui sont des individus portés par la volonté de diffuser un message à la fois fort et positif au monde, notamment un message d’apaisement et de dialogue entre camps opposés. L’Observatoire du Positif leur a déjà consacré deux textes : "14 personnalités inspirantes" et "Ne désespérer de rien grâce à 20 personnalités inspirantes".
(7) Etre prudent dans l’interprétation des résultats des sondages
Il est également très important de se montrer prudent dans l’interprétation des résultats des sondages d’opinion, d’autant que l’on tend très souvent à considérer que ceux-ci sont le meilleur moyen de comprendre une population et son évolution.
Le sondage est un moyen permettant de savoir ce que pense, souhaite ou veut, ou ne veut pas, le public. Mais il y en a bien d’autres : des études qualitatives d’instituts de sondage, des reportages journalistiques menés longuement sur le terrain, un travail "ethnographique" de chercheurs… Les sondages présentent bien évidemment un intérêt, mais il convient néanmoins de se montrer prudent dans l’analyse et dans l’interprétation de leurs résultats. Il est tout d’abord important de prendre en compte les éléments suivants : l’intention du ou de ses commanditaires et la ligne éditoriale de l’organe de presse dans lequel il est publié ; la façon dont les questions sont formulées ; la nature des réponses possibles (questions ouvertes ou fermées, réponses binaires avec deux options possibles – oui ou non – ou bien d’autres options - trop-juste assez-pas assez) ; la connaissance du sujet par le public (le public sondé connaît le sujet et s’est fait une opinion ou bien il ne le connaît pas très bien ou même pas du tout et peut alors répondre en fonction de l’air du temps, du "bruit médiatique"…) ; le moment où le sondage est réalisé ("à chaud" suite à un événement marquant ou bien "à froid") ; la taille et la représentativité de l’échantillon (un sondage courant est généralement réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1000 à 1200 personnes) ; la façon dont les personnes sont interrogées (par téléphone, en ligne, sous la forme de panels…) ; les marges d’erreur notamment pour les échantillons faibles ; son caractère ponctuel ou bien récurrent. Enfin, n’oublions jamais que le sondage est basé sur du déclaratif. Il n’est pas question ici de comportement réel des personnes interrogées.
Au final, on peut considérer, à l’instar du Centre d’observation de la société, que le sondage n’est pas nécessairement un bon outil pour comprendre la société car c’est "une réponse qui n’engage à rien, à une question posée avec des termes choisis, à un moment donné, auprès d’un échantillon dont la représentativité doit être discutée". C’est ce que dit aussi le sondeur et sociologue Arnaud Zegierman : "Il faut que notre profession arrête de faire des sondages débiles, en prétendant expliquer ce que pensent les Français à partir de deux questions". En définitive, "Seules les enquêtes en profondeur, répétées d’années en années ont un intérêt pour comprendre les évolutions des valeurs sur le temps long" (Centre d’observation de la société). Ce type d’enquêtes tend d’ailleurs à montrer souvent un tout autre visage des sociétés, à l’instar de l’enquête sur les valeurs des Européens.
(8) S’appuyer sur des statistiques fiables et peu discutables et sur des données
Pour des auteurs, tels que Max Roser, Hans Rosling ou Steven Pinker, les statistiques sont sans aucun doute le meilleur moyen de voir (et de comprendre) le monde tel qu’il est vraiment. Max Roser estime ainsi que les statistiques nous permettent "d’élargir notre vision, des histoires individuelles de ceux qui sont sous les projecteurs à une perspective qui inclut tout le monde". Elles permettent de voir à quoi ressemble le monde, mais aussi comment il a changé : "Alors que l’actualité se concentre principalement sur tout ce qui ne va pas, les statistiques historiques nous permettent également de voir ce qui s’est bien passé – les immenses progrès que le monde a réalisés". Steven Pinker estime, de son côté, que "Si votre appréciation de la réalité est liée aux actualités, alors elle est systématiquement déformée. Les informations que nous offrent les médias sont un échantillon non aléatoire et lourdement biaisé des pires faits survenant sur la planète un jour donné. La plupart des événements sont négatifs, parce qu’il y a beaucoup plus de chances que quelque chose tourne mal que bien. Et ce qui va bien tient souvent, précisément, du non-événement – c’est un pays en paix, une région qui ne connaît pas la famine – ou de tendances ne bougeant que de quelques points de pourcentage par an, mais qui, petit à petit, cumulé sur le long terme, ont de quoi transformer le monde. Dès lors, seuls les grands ensembles de données peuvent nous fournir une image précise de l’état du monde et de son évolution". C’est la raison pour laquelle il tend à nous inciter à suivre les données, et non les gros titres de la presse, "car de la sorte, vous pouvez prendre conscience de toutes les améliorations qu’a connues le monde et qui sont cachées dans les journaux : diminution de l’extrême pauvreté, des guerres, des génocides, de l’analphabétisme, du racisme, de la criminalité violente, du temps de travail, des décès accidentels et de l’oppression des femmes". Il considère en définitive qu’"Une compréhension statistique du monde doit devenir beaucoup plus centrale dans notre culture".
Là aussi, il faut se montrer prudent sur l’interprétation des chiffres, surtout un chiffre seul hors contexte, et sans doute combiner, comme nous le suggère le statisticien britannique Tim Harford, le point de vue de l’oiseau et celui du ver de terre. Il estime, en effet, qu’il convient de "combiner la perspective statistique de l’œil de l’oiseau avec la vision basée sur l’expérience personnelle de l’œil du ver de terre".
D’autres défendent l’idée de s’appuyer aussi sur des données, au sens de data, en estimant qu’elles permettent de mieux connaître la société en dépassant un certain nombre d’idées reçues. C’est le cas de Seth Stephens Davidowitz, un ancien data scientist de Google, qui a publié plusieurs ouvrages sur ce sujet : Tout le monde ment… (et vous aussi !). Internet et le Big Data : ce que nos recherches disent vraiment de nous (2017) et Don’t trust your gut : using data do get what your really want in life (2022). En effet, pour lui, "Plutôt que de suivre nos instincts trompeurs, nous aurions tout intérêt à avoir une approche rationnelle, similaire à celle adoptée par le monde sportif depuis une vingtaine d'années" en nous fiant aux datas plus qu’à nos pressentiments (source). Ainsi, les datas montrent, par exemple à propos de l’argent, qu’une partie conséquente des riches aux Etats-Unis sont des entrepreneurs et les secteurs qui ont proportionnellement le plus de millionnaires sont l'immobilier, l'investissement ou les concessionnaires automobiles. Les nouvelles technologies, dominées par des géants comme les GAFAM, apparaissent ainsi bien moins propices à la formation de fortunes spectaculaires que des secteurs qui peuvent sembler a priori moins attractifs.
(9) Recourir au comparatisme géographique et historique
On doit y rajouter aussi l’importance du comparatisme, à la fois sur le plan géographique (avec une comparaison entre pays, régions ou villes) et sur le plan historique (avec une comparaison entre périodes) avec pour objectif de se poser les questions suivantes : est-ce que c’est vraiment mieux ailleurs ? Et est-ce que c’était bien mieux avant ?
Le titre en version française du livre de Johan Norberg est d’ailleurs Non, ce n’était pas mieux avant. Il faut éviter, en effet, d’idéaliser soit ce qui se passe ailleurs, soit le passé car notre connaissance dans les deux cas est souvent partielle (voire partiale) ou bien reconstituée à partir de souvenirs personnels largement déformés.
(10) S’appuyer sur les tendances lourdes et sur un certain nombre d’invariants
Enfin, à l’air du temps et au "bruit" ambiant, il semble préférable de privilégier le temps long, les tendances lourdes et un certain nombre d’invariants, notamment mis en évidence par des disciplines scientifiques, telles que l’anthropologie ou les neurosciences. Cela donne alors une toute autre image du monde et de l’humanité que ce que l’on peut voir dans les médias ou bien dans les têtes.
C’est, par exemple, le travail qui a été accompli par l’historien et journaliste néerlandais Rutger Bregman dans son ouvrage Humanité. Une histoire optimiste paru en 2020. Il expliquait à ce propos dans un entretien que "La raison principale pour laquelle j'ai écrit ce livre est que je me suis aperçu que de nombreux scientifiques provenant de disciplines très variées comme l'anthropologie, la psychologie, la biologie, la sociologie, convergeaient de plus en plus vers une vision optimiste de la nature humaine, mais qu'ils étaient si spécialisés qu'ils ne remarquaient pas ce qui se passait dans les domaines voisins du leur. J'ai voulu donner une vue d'ensemble et relier les points entre eux".
Il apparaît donc nécessaire, et sans doute plus que jamais nécessaire dans cette période compliquée de grands bouleversements et de grands basculements, de changer de regard pour avoir une vision à la fois plus réaliste et sans doute aussi plus positive de la réalité. Pour cela, il faut (1) prendre conscience de l’existence d’un certain nombre de biais, en nous et à l’extérieur, (2) comprendre ce qui se passe dans le monde en utilisant les bons outils afin de ne pas avoir une perception faussée de cette réalité et (3) entreprendre les efforts nécessaires pour voir aussi ce qui va bien et ce qui va dans le bon sens, sans ignorer pour autant les difficultés et les menaces qui sont réelles.
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